L'école est une "institution reconnue, ayant pour fonction de mettre en présence, d'une manière réglée, les spécialistes qui transmettent [les savoirs transmissibles] et les sujets à qui l'on transmet" (Jean-Claude Milner, De l'école, Seuil 1984 et réed.).
Cette définition limpide est parfaitement conforme à nos plus impératives dispositions constitutionnelles en la matière : "La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, la formation professionnelle et la culture. L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'état" (préambule de la Constitution du 26 octobre 1946).
Comprise donc comme appareil d'ensemble de "l'organisation de l'enseignement public" (lequel enseignement délivre "l'instruction", en un sens large), l'école est une institution d'état investie d'une mission allant jusqu'à transcender ce même état instituant, puisqu'elle s'impose à celui-ci comme "devoir".
L'exercice de cette mission doit en outre satisfaire à deux exigences complémentaires : l'égalité d'accès, qui lui interdit toute considération liée à l'origine civile de ses auditeurs, et la laïcité, qui lui défend de prendre parti sur ce qui ressortit à la liberté de conscience de ces auditeurs.
Une conséquence de ces considérations mérite d'être soulignée d'emblée : le "centre" de l'école (pour utiliser un mot en vogue) est l'instruction ; ce n'est donc pas l'élève, et moins encore le "jeune". L'école n'a rien a voir avec le patronage, et elle est tout le contraire d'un "conservatoire de l'enfance".
Le terme "instruction" a quasiment disparu de la prose officielle au bénéfice du terme "éducation", censément moins réducteur et mieux à même de traduire "l'épanouissement de la personne", nécessairement total, qui devrait constituer la finalité ultime de l'école. Cette substitution de termes pose un problème majeur à l'égard de l'exigence de laïcité qui pèse sur l'école.
L'instruction peut se définir aisément comme (résultat
de) la transmission du savoir, c'est-à-dire de connaissances constituées
dont le mode particulier d'élaboration leur confère, au moment
où on les examine, un caractère universellement senti de raisonnable
certitude (même dans le cas de thèses concurrentes, comme
il arrive dans certaines branches, ce caractère reste acquis par la prise
en compte de leur ensemble).
Ce savoir constitue, en bref, partie du patrimoine collectif de l'humanité
dans ce qu'il a de mieux affirmé ; l'instruction qui en participe
peut ainsi s'imposer à chacun sans réserves sérieuses
liées à la liberté de conscience.
Il n'en est plus de même pour l'éducation. De quelque façon qu'on la prenne, elle comportera toujours, surtout quand on la veut globale, des traits typiquement comportementaux supposant des choix d'ordre idéologique, philosophique ou religieux relevant de la conscience privée ; comme tels, et quand bien même ils se trouveraient socialement majoritaires, ces choix ne peuvent être imposés à tous sans immixtion dans les consciences que le principe de laïcité, justement, commande de se retenir de pénétrer.
D'où suit que si l'instruction peut être laïque (et se doit de l'être), l'éducation ne le peut en aucun cas, et le peut d'autant moins qu'elle est vue plus totale.
Le remplacement de l'instruction par l'éducation emporte ainsi en quelque part (et quoiqu'on s'en défende) l'abandon du principe de laïcité.
De sorte que l'école, au sens même de la Constitution, ne peut se consacrer directement qu'à l'instruction ; les choix d'ordre éducatif proprement dit appartiennent aux personnes privées.
Il est devenu habituel, dans le milieu, de désigner l'école comme le "service public d'éducation".
Quoique cette dernière dénomination s'interprète variablement au gré des locuteurs, elle véhicule cependant l'idée générale que l'école serait " au service du public " ou, plus explicitement , directement subordonnée aux desiderata de la société civile.
Cette opinion n'est pas fondée.
Si elle participe bien évidemment de la société civile,
l'école est avant toute chose une institution d'état, comme
il l'a déjà été dit.
Il s'ensuit cette conséquence immédiate et nécessaire que
dans l'exercice de sa mission, l'école ne peut que se trouver soustraite
à l'action directe de la société civile (à
l'instar de la Justice, par exemple).
"Asile inviolable où les querelles des hommes n'entrent pas" (Jean Zay), l'école dispose ainsi des conditions (assurément laïques) de sérénité et de recul, seules propices à l'étude, et dispense son art indépendamment de l'appartenance sociale de ses auditoires (conformément au principe d'égalité d'accès), comme en dehors de toute considération liée aux intérêts particuliers (dont l'affrontement est, par excellence, le lot de la société civile).
Ces impératifs ne sont aucunement devenus obsolètes : attachés
à la nature même de l'école, ils sont de tout temps.
C'est à l'état qu'il incombe de les garantir ; et s'il revient
sans conteste à ce dernier la tâche d'administrer la société
civile (et en particulier, d'en arbitrer les conflits), cette attribution ne
peut le conduire à se subordonner à cette société
civile au point de le délier de ses devoirs constitutionnels.
Il est convenu, en de certains cénacles, d'opposer la détention
du savoir à la faculté de le transmettre, comme si l'enseignement
était, tout bien pesé, une activité autonome, largement
indépendante de son contenu.
Si elle n'est pas tendancieuse, cette opposition
prétendue est parfaitement artificielle.
Le savoir et sa transmission ne peuvent se concevoir l'un sans l'autre
; ils se prêtent même mutuel appui : l'organisation propre d'un
savoir contient déjà en elle-même les grandes lignes d'une
transmission, et, a contrario, les nécessités propres à
la transmission conduisent souvent à un approfondissement du savoir lui-même.
Le détenteur d'un savoir détient donc aussi, par là
même, partie des moyens de sa transmission ; mais encore faut-il souligner
qu'il n'a pu manquer d'être instruit sur cette transmission même,
nécessairement mise en oeuvre à son endroit, au cours de sa propre
acquisition du savoir.
Le professionnel de l'enseignement bénéficie ainsi du grand avantage,
quasi inconnu à pareil degré des autres professionnels,
d'avoir pu, pendant longtemps et en de nombreuses rencontres, voir exercer
sa profession avant même d'y entrer lui-même ; cette circonstance
fait que de tous les professionnels, il est sans doute le mieux formé au départ.
Naturellement, la transmission en acte du savoir réclame de la pratique
(qui ne s'acquiert d'ailleurs pleinement qu'avec le temps).
Mais il est vrai qu'elle présente, dès l'abord, certaines particularités
: elle s'exerce devant un public, majoritairement jeune et assez varié.
Cette situation demande sans aucun doute des règles appropriées
que n'enseigne pas le savoir à transmettre lui-même : l'action
sur un auditoire donné suppose quelque connaissance des conditions de
réceptivité de cet auditoire et il va de soi, en particulier,
que plus l'auditoire est jeune, ou simplement ignorant, ou encore peu tourné
vers la discipline enseignée, plus il est nécessaire de disposer
d'une pratique spécifique.
Mais il ne faudrait pas tirer prétexte de ces évidences pour
sacrifier le fond à la forme : les modalités particulières
de la transmission, même quand elles s'avèrent indispensables,
ne demeurent qu'un moyen de l'accession au savoir, lequel savoir reste l'essentiel.
On se gardera donc de toute outrance dans ce qu'il est convenu d'appeler "la
formation des maîtres" : aisément justifiable pour les
futurs maîtres du Primaire, cette dernière l'est déjà
moins pour ceux du Collège et l'est beaucoup moins encore pour ceux du
Lycée (sans même parler de l'Université). Pour ceux-ci,
la science même de leur discipline l'emporte très largement en
importance sur les techniques de transmission, lesquelles peuvent se contenter
d'un bon apprentissage in situ.
Le professeur est l'acteur exclusif de la transmission du savoir, i.e.
de l'enseignement, et c'est là son rôle essentiel (exception
faite des obligations particulières des enseignants-chercheurs dont on
ne parlera pas ici).
Il en a toujours été ainsi ; et il en est encore ainsi, réglementairement
parlant, puisque malgré la dérive actuellement constatable en
ceci, les textes statutaires en vigueur assignent au professeur d'assurer "
principalement " un enseignement.
Encore convient-il de donner à l'enseignement son sens exact :
qui dit "transmission du savoir" dit d'abord "savoir".
Le professeur est ainsi le spécialiste d'un savoir chargé de
le transmettre, et pas du tout le "spécialiste de la transmission
" chargé d'un savoir, lequel dernier spécialiste n'existe
d'ailleurs que dans l'imaginaire des théoriciens de la pédagogie.
Cet état de choses emporte deux conséquences :
Le concours de recrutement du professeur (sur quoi ce dernier fonde
son autorité civile) doit sanctionner en premier lieu la possession
d'un savoir approfondi, et en second lieu, la capacité à le
transmettre.
La première se jugera principalement au cours d'épreuves écrites
éliminatoires, et la seconde au cours d'épreuves orales définitives
(où la première jouera encore son rôle).
Pour le maître de Lycée général, et a fortiori
pour celui de l'enseignement supérieur, ces épreuves de recrutement
doivent à l'évidence revêtir un caractère universitaire
marqué, en nature comme en niveau.
La détention du savoir (sur quoi se fonde l'autorité
savante du professeur) implique pour ce dernier que, dans son enseignement,
il bénéficie de l'indépendance acquise à l'homme
de l'art dans son activité propre, et partant, qu'il n'ait à
rendre de comptes de cette dernière qu'à ses pairs.
Cette indépendance renforce encore celle, mentionnée plus
haut, qu'il tient de l'institution à l'égard de la société
civile.
Naturellement, l'exercice d'une profession s'entoure d'accompagnements
qui, quoique n'en étant pas partie intégrante stricto sensu,
sont plus ou moins inévitables.
Mais il convient de bien distinguer, dans ces accompagnements, ce qui est
de l'ordre de l'indispensable et ce qui est de l'ordre de l'adventice.
Au cas d'espèce, relèvent incontestablement du premier
ordre la participation du maître à certains conseils, à
la collation des grades.
Le "parascolaire" en revanche ( si fort prisé de nos
jours qu'il a tendance à réduire le "scolaire" à
ne plus être qu'un " para-pararascolaire"), ne participe
pas davantage de la tâche du professeur que le "paramédical"
ne relève de celle du médecin ; s'il n'est sans doute pas dépourvu
d'intérêt en soi, il ne saurait affecter sensiblement l'activité
première du professeur, ni a fortiori se voir imposer à
ce dernier.
Conformément à la constitution, il revient à l'administration d'organiser l'école, i.e. de rendre effective la transmission du savoir qui en constitue la raison d'être.
Ce rôle de l'administration revêt deux aspects bien différenciés
: l'un concerne la mise en place et la gestion de l’appareil scolaire
au plan formel ; l'autre l'élaboration des modalités et le contrôle
de la transmission du savoir. Le premier relève de l'administration
proprement dite, le second de l’inspection à compétence
pédagogique ; ils sont a priori exclusifs l'un de l'autre (en
particulier, les personnels administratifs ou assimilés n'ont pas qualité
pour intervenir en matière d'enseignement).
En revanche, sous l'un comme l'autre de ces deux aspects, le rôle de
l'administration doit tendre à établir les conditions les mieux
propices à la délivrance de l'instruction, et à travers
elle, au travail du maître.
En un mot, à l'instar du professeur qui s'y trouve tout entier dévolu,
l'administration est au service de l'enseignement ; et c'est ici encore
à l'état d'y veiller d'autant plus qu'il exerce dans l'institution,
à travers cette administration dont il dispose, le pouvoir ultime de
décision.
Cela suppose entre autres choses qu'il impose que les exigences de l'enseignement
prévaillent sur les commodités de gestion, les postures de circonstance,
les influences de paroisse et les lubies de personnes, toutes considérations
qui ont aujourd'hui une bien fâcheuse propension à commander.
Le mot "pédagogie" souffre de nos jours d'un malentendu reposant sur son double sens.
Attesté en français depuis le XVI° siècle, il désignait
naguère la simple faculté de se faire bien comprendre (sens
qui est d'ailleurs encore le sien lorsque l'on dit de quelqu'un qu'il sait "faire
preuve de pédagogie").
Il dénomme maintenant une discipline censément constituée,
se proposant précisément de théoriser la pédagogie
au sens précédent, i.e. en un mot, les dites " sciences
de l'éducation ".
Chacun est évidemment libre de tenter de théoriser ce qu'il veut et, s'il est possible, de se faire reconnaître par l'Université, en s'offrant à cette occasion des enseignants-chercheurs et une section au CNU ; tel est d'ailleurs le cas pour les "sciences de l'éducation". Mais cette liberté n'emporte nullement la nécessité, pour l'usager de l'objet ainsi théorisé, de se soumettre aux conclusions du théoricien dans le quotidien de son usage.
Pour justifier pareille prétention qui est aujourd'hui celle des "sciences de l'éducation" à l'égard de l'école, il faudrait que l'adéquation de la théorie à son objet fût établie par un ensemble de résultats unanimement constatés comme probants, ce que les dites "sciences" sont bien loin de pouvoir présenter (entre autres choses, leurs résultats sont tellement probants que l'enseignement ne s'est sans doute jamais si mal porté que depuis leur mise en application).
Faute de ces conditions nécessaires, l'emprise organisée de ces "sciences" sur l'école repose en fin de compte sur un simple calembour : étant entendu que le (bon) maître se doit de "faire preuve de pédagogie" (au sens banal), il lui faut préalablement apprendre la pédagogie (au sens "théorique", cette fois) dont les "sciences de l'éducation" sont fort opportunément les dépositaires.
En conclusion, il n'y a pas lieu de considérer les "sciences
de l'éducation" comme les prolégomènes de l'enseignement.
Ces "sciences" ne constituent rien de plus, en leur état, qu'une
simple doctrine à laquelle chacun est libre d'adhérer ou non.
Conséquemment, l'intervention impérative de leurs adeptes dans
la "formation des maîtres" est parfaitement incongrue.
Le SAGES n'a pas vocation, statutairement parlant, à se préoccuper
des maîtres du Primaire et n'est pas non plus directement qualifié
pour intervenir dans le déroulement propre de l'enseignement élémentaire.
Cependant, il ne peut se désintéresser de cet enseignement élémentaire
dans la mesure où celui-ci conditionne de manière évidente
l'enseignement ultérieur, tant par les bases indispensables qu'il doit
lui fournir que par les habitudes de travail qu'il doit lui ménager.
Et cette première formation est d'autant plus importante qu'elle s'adresse
à un âge particulièrement propice à la recevoir et
qu'elle ne pourra plus, sans difficultés ou dommages, être compensée
ultérieurement.
Le SAGES est donc bien dans son rôle en assignant ses objectifs généraux
à l'enseignement élémentaire, en examinant si ces objectifs
sont atteints et, le cas échéant, en recherchant les causes des
carences constatées.
Les objectifs généraux de l'enseignement élémentaire relèvent, conformément à ce qui est dit supra, de deux ordres : les bases et les habitudes.
Pour atteindre ces deux ordres d'objectifs, il faut pour les premières, eu égard aux difficultés manifestes d'assimilation qu'elles présentent, leur consacrer l'essentiel du temps scolaire (ce n'est pas à dire qu'il faille sacrifier les autres matières, mais celles-ci ne disposent pas de la priorité) ; pour les secondes, elles réclament à l'évidence une attitude adéquate de tous les instants de la part du maître qui doit, en cette occurrence, clairement bénéficier du soutien de l'institution.
Chacun le sait, il s'en faut de beaucoup que ces objectifs soient aujourd'hui atteints, contrairement à ce qui avait encore lieu il y a une cinquantaine d'années.
Le changement de public scolaire ne peut être ici utilement invoqué
: cinquante ans plus tôt, le Primaire s'adressait comme aujourd'hui
à l'ensemble de la population (et ce ne sont pas les prétendus
laissés pour compte d'antan qui font une différence, n'ayant jamais
été en bien grand nombre, quoiqu'on en dise).
S'il y a bien eu changement, c'est dans la " politique " scolaire, sous la
houlette des chantres des sciences (?) de l'éducation et leurs complices
syndicaux, particulièrement pesante dans le Primaire.
Ce changement a eu pour effet, au nom d'un puérocentrisme imbécile
satisfaisant essentiellement les fantasmes de réussite de certaines coteries
d'adultes, de vider l'enseignement élémentaire de toute contrainte
(censément insupportable aux enfants), et dans ce but, de réduire
de manière draconienne la part de temps scolaire consacrée aux
fondamentaux - au bénéfice d'un " éveil " qui, à
l'usage, se révèle être plutôt un assoupissement
- et de jeter l'opprobre, par institution interposée, sur toute exigence
d'effort ou de discipline véritables (remplacée par une fumeuse
collaboration librement consentie entre maître et élèves).
Le résultat est sous nos yeux ; et il est désastreux.
Le SAGES réclame en conséquence que l'enseignement élémentaire revienne de toute urgence aux objectifs et aux conditions propres à les atteindre qui sont énoncés plus haut, lesquels objectifs et conditions ne sont nullement les restes d'époques prétendument archaïques, mais sont de tous les temps, et tout particulièrement des temps aujourd'hui à venir dans une nation civilisée.
L'enseignement du second degré souffre aujourd'hui d'une déconsidération de fait qui tient pour une bonne part à la position intermédiaire qu'il occupe maintenant dans l'ensemble de l'enseignement public.
Jadis enseignement terminal à l'égard d'une majorité de
sa population scolaire et largement découplé de l'enseignement
primaire qui ne lui destinait qu'une partie de ses élèves, il
a perdu de nos jours ces deux spécificités.
Il est dépossédé de la première par l'enseignement
supérieur qui lui fait quasi-obligatoirement suite et lui réclame
conséquemment d'assurer les conditions de formation nécessaires
à une poursuite d'études ; il accueille en outre systématiquement,
du fait de la disparition des classes de fin d'études primaires, l'intégralité
des élèves de l'école élémentaire, s'incorporant
à cette occasion un enseignement professionnel qui se tenait auparavant
en dehors de lui.
Cette situation est d'autant plus inconfortable que l'opinion, à présent concernée en totalité, a tendance à considérer le passage par le second degré comme une sorte de vol en pilotage automatique, son attention se trouvant exclusivement portée aux manœuvres de décollage et d'atterrissage que constituent respectivement le premier degré et le supérieur : entre ces deux moments censément cruciaux, le professeur du second degré n'est pas loin d'être regardé comme le simple accompagnateur d'un processus qui se déroulerait presque de lui-même et où, conséquemment, l'on admet difficilement qu'il puisse y échouer (et cela d'autant plus qu'il détient le redoutable privilège d'être le premier à pouvoir confronter ses élèves à des épreuves déterminantes, savoir le baccalauréat).
Rien n'est évidemment plus fallacieux. L'enseignement du second degré
est chargé d'une tâche tout aussi capitale et encore plus ardue
que celle dévolue aux cycles qui l'encadrent.
Il lui revient en effet de prendre de grands enfants juste en possession de
solides rudiments (tout au moins dans l'idéal...) pour en faire de petits
adultes aptes à aborder efficacement les questions majeures du savoir,
qu'il soit d'ordre pratique, technique ou théorique. Ce n'est pas mince.
Ce ne l'était déjà pas du temps où, disposant d'auditoires
préalablement sélectionnés et d'une compartimentation prenant
en compte les différentes tournures d'esprit de ses élèves,
son travail s'en trouvait grandement facilité (et où il jouissait
néanmoins, comme le souligne justement J.C. Milner, d'une flatteuse réputation
jusqu'au plan international).
Ce l'est encore beaucoup moins aujourd'hui où les conditions qui lui
sont imposées font de sa mission une véritable quadrature du cercle
(qui, comme chacun le sait depuis plus d'un siècle, est un problème
impossible...). Pris entre deux catégories de professionnels auxquels
est reconnu sans discussion le primat dans leur domaine (l'instituteur qui sait
ce que peuvent accomplir ses élèves et en impose les conséquences
; l'universitaire (ou assimilé) qui sait ce que doivent acquérir
les siens et en réclame les préalables), le malheureux professeur
du second degré se retrouve écartelé. Privé quant
à lui du droit de décider ce qu'il peut et doit faire, il est
tenu de faire le pont entre les énormes lacunes de l'enseignement élémentaire
et les exigences attachées à la scolarité postérieure,
le tout sur fond de collège unique et de " quatre-vingts pour cent
d'une classe d'âge au baccalauréat ".
Le résultat est que le collège est devenu principalement
un atelier de réparation des dommages causés par l'école
élémentaire (ce qui n'est nullement son rôle) et
que le lycée ne peut plus guère que se consacrer au bachotage
(ce qui est notoirement insuffisant).
Devant ce qu'il faut bien appeler un marasme, ce serait peu de dire que l'administration (c'est-à-dire l'état) ne prend pas les mesures qui s'imposent.
Colonisée qu'elle est par des coteries d'origine, de nature et de sensibilités
diverses, mais s'accordant toutes, pour le gros, sur les mêmes finalités,
elle est la première responsable d'une situation qu'elle s'emploie
d'ailleurs encore aujourd'hui à perpétuer contre vents et marées,
l'ayant institutionnalisée dans ses grandes lignes par la loi scélérate
de 1989 (à propos de laquelle il n'est pas sans intérêt
de noter qu'elle fut "négociée mot pour mot" par certaine
fédération syndicale, de l'aveu même de l'un de ses dirigeants...).
Cette loi scélérate, comme les nombreux textes plus ou moins réglementaires
qui y prennent appui (notamment par le canal des IUFM -depuis devenues ESPé-,
institués dans son esprit), vise à faire de l'enseignement
du second degré un gigantesque foyer socio-éducatif à objectifs
comportementaux où le professeur ne serait plus que le simple exécutant
au service d'une politique n'ayant que des rapports accessoires avec la transmission
du savoir. Dans pareille optique, l'on conçoit que les compétences
proprement disciplinaires du professeur soient d'importance seconde, et constituent
même un écueil si elles s'avèrent trop marquées.
Et de fait, l'on peut y constater une volonté délibérée
de gommer les différences, non pas tant de corps (qui sont cependant
regardées comme cardinales partout ailleurs dans la Fonction publique),
mais de qualification objective, en ce que les emplois sont distribués
sans réelle considération de ladite qualification. Personne ne
s'étonnera d'apprendre que les professeurs agrégés sont
les premières victimes de cette confusion des genres.
L'on pourrait estimer, au vu de ce qui précède, que la loi étant la loi, il ne reste plus grand-chose à faire.
Ce serait compter sans l'extraordinaire complexité de l'appareil réglementaire
qui, si elle s'exerce souvent au détriment des administrés, se
retourne aussi contre l'administration elle-même. Le processus de modification
des décrets (et tout particulièrement des décrets statutaires)
est très lourd (plus lourd que celui nécessaire aux modifications
législatives, dans bien des cas) ; il est aussi semé d'embûches
: touchant à des garanties fondamentales, les modifications envisagées
risquent non seulement de provoquer une levée de boucliers syndicale,
mais encore de se retrouver en contradiction avec des principes législatifs
supérieurs.
Pour cet ensemble de raisons, l'administration renonce assez souvent auxdites
modifications réglementaires, préférant recourir à
des textes d'édiction beaucoup plus aisée (les circulaires, notamment)
pour parvenir à ses fins. L'ennui pour elle est que de tels textes encourent
la censure du juge de l'excès de pouvoir (si toutefois son " réalisme
compréhensif " (Maître Lyon-Caen) ne s'exerce pas avec un zèle
exagéré).
L'action contre les menées pernicieuses de l'administration est donc loin d'être impossible ; et il convient d'examiner avec attention les textes réglementaires encore en vigueur pour barrer la route, autant que faire se peut, aux dites menées.
L'enseignement supérieur français se présente sous de multiples aspects, tant
dans ses finalités que dans ses modalités. En effet, tout comme d'ailleurs l'enseignement
supérieur européen ou international, il désigne aujourd'hui, en fait et en droit,
l'ensemble de toutes les formations qui font suite à l'enseignement secondaire.
On pourrait d'ailleurs le qualifier d'enseignement "postérieur" ou "ultérieur"…
L'enseignement supérieur englobe donc aussi, désormais, des formations qui,
ne font que prolonger l'enseignement du second degré sans s'en distinguer foncièrement,
ni dans leur organisation, ni dans leur esprit (STS, ...).
De plus, en tant que structure,
il regroupe des établissements de types et de statuts fort différents, dispense
des enseignements de niveaux et de natures très divers, et fait appel à une
large gamme d'intervenants, qui va de l'enseignant permanent aux vacataires
issus des horizons les plus variés.
Cela étant, l'enseignement supérieur s'adresse
à des adultes, et, en principe, il n'est pas obligatoire. Il autorise donc,
voire nécessite, que s'y développent, plus largement que dans l'enseignement
secondaire, les initiatives et les prérogatives :
- des étudiants (dans le choix de leurs filières et de leurs options)
- des professeurs (dans le contenu et dans l'organisation de leur enseignement)
- des employeurs (par le biais des stages et dans le cadre de leur participation aux différents conseils en vue
des formations débouchant sur un emploi).
Les créations, au cours des siècles, du Collège de France, des CPGE et des grandes écoles, des IUT et d'autres structures spécifiques de l'enseignement supérieur français ont eu pour objectif de répondre, de façon rapide et efficace, à des exigences que l'Université française d'alors n'était pas en état de satisfaire (en particulier dans les secteurs scientifiques et technologiques). Et il faut reconnaître que l'objectif en question fut atteint : ces créations n'ont pas entraîné pour autant la disparition des facultés et les différents établissements d'enseignement supérieur coexistent de façon plutôt harmonieuse.
Pourtant, on assiste depuis quelques années, en France…, à un reniement radical de l'enseignement supérieur de notre pays.
Certes, il est normal que l'on cherche à adapter l'enseignement supérieur à
l'augmentation des effectifs d'étudiants, à l'intensification des échanges entre
états, à la construction européenne… Malheureusement, la frénésie de changement
actuelle semble en réalité trouver sa source dans la croyance selon laquelle
ce qui se fait ailleurs est forcément mieux (une telle croyance autorisant par
la même occasion que d'aucuns s'en prévalent pour servir des intérêts personnels)
: or, si un tel "argument" est éminemment subjectif, ses effets, eux, sont objectivement
néfastes.
Ainsi les pouvoirs publics cherchent-ils à intégrer l'ensemble des formations
d'enseignement supérieur au sein de l'Université proprement dite en la soumettant
à une logique de marché, où étudiants et entreprises seraient des clients,
et les professeurs des employés d'entreprises prestataires de service. Ce faisant,
les enseignements les plus directement orientés vers la formation professionnelle
se trouvent placés sous la direction de "mandarins" universitaires qui sont
parmi les moins au fait des nécessités des professions concernées (les IUFM
et leurs dirigeants illustrant ce phénomène de façon significative…), alors
que, dans le même temps, l'excellence et le caractère proprement universitaire
de certains enseignements disparaît progressivement des facultés pour y être
remplacés par des "savoirs" qui relèvent de l'escroquerie pure et simple, (exemple
: les "sciences" (…) de l'éducation) ou par des formations, dont le caractère
"universitaire" nous apparaît discutable puisqu'elles viennent en réalité satisfaire
à un utilitarisme à courte vue.
Pour aussi dignes d'attention que soient certains systèmes d'enseignement supérieur étrangers, le SAGES considère :
que certaines pratiques universitaires étrangères sont effectivement susceptibles d'influencer notre propre système d'enseignement supérieur de façon positive. Mais qu'une telle influence ne peut s'exercer que progressivement et "sur le terrain", grâce aux échanges et au travail en commun, et non par le biais d'un "management" imposé par une poignée de hiérarques administratifs qui doivent précisément leurs ascension et position aux dysfonctionnements du système français.
Des évolutions sont, certes, souhaitables voire nécessaires, mais à la condition qu'elles servent des buts légitimes et que pour y parvenir, elles ne sacrifient ni les intérêts des étudiants, ni ceux de leurs professeurs.
Pour l'heure il faut bien constater que les principaux dysfonctionnements affectant l'enseignement supérieur français, et auxquels il convient de remédier rapidement et énergiquement, ne sont pas ceux qui sont allégués (comme le fait, par exemple, que "la recherche" n'irriguerait pas suffisamment certains enseignements ou certains enseignants) mais :
Nous terminerons en rappelant que le SAGES tient tout particulièrement aux deux impératifs fondamentaux de l'enseignement supérieur public qui sont :