De la qualité d'universitaire

De la qualité d'universitaire

Lettre ouverte de Denis Roynard à Alain Finkielkraut

Marseille, le 8 Octobre 2000

Cher collègue,

Ce soir dimanche 8 octobre 2000, à l'émission de Michel Drucker (19h25-19h55), l'invité, Claude Allègre, vous a dénié, à deux reprises, la qualité d'universitaire.

Cet " argument " (Claude Allègre envisageait sa " réserve " ainsi) appelle plusieurs observations (outre bien sûr la mesquinerie et la petitesse de celui qui l'a invoquée) :

Tout ceci pourrait tout au plus faire hausser les épaules. Après tout, aux yeux du grand public, l'Ecole Polytechnique vaut largement l'Université, et il est peu probable que les réserves faites à votre encontre ait produit l'effet recherché.
Mais, au-delà de l'artifice dialectique (priver vos propos de toute légitimité aux yeux des téléspectateurs), il ne me paraît pas anodin qu'un tel propos ait échappé spontanément et à deux reprises à Claude Allègre, car on l'entend en maintes bouches. En effet, si aux yeux de certains l'université est le temple de la liberté des idées et du débat, force est de constater que semblable "disqualification" a priori est vécue au quotidien à l'université par bon nombre de vos collègues agrégés.

Pour ceux qui sont affectés dans le supérieur, il s'agit de mettre à l'index des personnels qui doivent leur grade (et donc leur légitimité) à un jury étranger à l'université de recrutement.
Ces agrégés, n'ayant pas été adoubés par le "clan", n'ayant pas fait leurs "visites", ne peuvent en faire partie "dans l'esprit", sauf à s'amender en y rentrant " vraiment " par la même porte que les autres (en devenant maître de conférences ou professeurs d'université).
C'est pourquoi on essaie souvent de les cantonner à des besognes dévalorisantes, afin qu'ils ne puissent faire étalage d'un talent et d'une érudition qui feraient de l'ombre et battraient en brèche une présomption qui se veut irréfragable.
Si ces brimades (ainsi que le très lourd service de 384 heures qui leur est imposé) permettent de dévaloriser les professeurs agrégés à l'extérieur des universités (peu de publications, de congrès,…), elles ne suffisent pas heureusement pour les dévaloriser aux yeux des étudiants (du moins tant qu'ils sont étudiants…).

Quant à ceux qui sont affectés dans le second degré, il s'agit bien, en leur refusant la qualité d'universitaire, de nier chez eux toute qualité d'intellectuel, tout rôle de conception dans l'élaboration de leur cours, voire même toute pertinence à intervenir dans le débat sur l'école.
En bref, ils ne sont envisagés que comme des exécutants devant être encadrés par les sous-pédagogues missionnés par les professeurs en sciences de l'éducation (des vrais "universitaires", ceux-là, puisqu'ils sont docteurs, habilités à diriger des recherches, professeurs d'université à la vraie université).

Par où l'on voit que la qualité d'universitaire, sous des dehors formels (au demeurant fort spécieux), revêt une importance certaine dans le débat sur l'école et pour ce qui concerne le fonctionnement de l'université (avec une minuscule).

Qu'est-ce qu'être un universitaire donc ? Pas au sens étroit de Claude Allègre, celui qui a provoqué il y a deux siècles la création des grandes écoles pour faire pièce à l'université de l'époque (celle que l'ancien ministre Allègre rêve de restaurer en y intégrant ces grandes écoles) mais dans une acception plus haute, plus "universitaire".
Je pense que vous avez, vous aussi, un point de vue sur la question, et il ne serait pas inintéressant (pardonnez la litote) que vous l'exprimiez.

En espérant que vous apporterez votre pierre au débat, je vous prie d'agréer, cher collègue, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Denis Roynard