L'auteur de ces lignes, professeur agrégé, voulant éviter des ennuis à son
conjoint professeur des écoles, préfère rester anonyme.
L'ancien corps des "instituteurs" est voué à disparaître d'ici très peu de temps.
Tous les enseignants de maternelle et de primaire sont donc intégrés et désormais
recrutés dans le corps des "professeurs des écoles". La carrière dans ce corps
est équivalente à celle des certifiés. On assiste à une "poussée" vers ce corps,
au niveau des concours, et à une élévation du niveau des diplômes des candidats,
qui peut s'expliquer par deux raisons :
- le concours et l'affectation des candidats s'effectue par académie :
garantie pour un fonctionnaire en début de carrière de ne pas être muté à
l'autre bout de la France
- les problèmes de discipline voire de violence sont réputés plus faciles à
maîtriser à l'école primaire.
Un meilleur niveau des enseignants devrait logiquement conduire à une meilleure
efficacité pédagogique. En fait, il n'en est rien, notamment parce que
l'intervention des "gourous" des prétendues "sciences de
l'éducation" dans la sphère de l'école primaire est de plus en plus pesante.
On trouve ces personnels parmi les enseignants en IUFM et dans le corps des inspecteurs.
Le principal problème est que parmi eux ne figurent quasiment jamais
d'anciens enseignants du primaire. La situation est donc ubuesque :
- des directives fumeuses et absconses sont régulièrement émises dans les
hautes sphères de l'administration et des instituts de recherche sur la
pédagogie
- l'information descend vers le terrain, avec bien entendu
la perte de substance inévitable dans tout processus de transmission, et la
dénaturation du "peu de bon" du message original par l'introduction
des marottes et manies des potentats locaux, lesquels disposent de moyens
de pression disproportionnés (voir plus un exemple plus bas).
- les jeunes enseignants tentent tant bien que mal d'appliquer les consignes,
ne réussissant souvent qu'à faire du remplissage d'heures à défaut de
"remplissage de cervelles
- certains "anciens", qui en ont vu d'autres, font de la résistance et
appliquent sans trop s'en vanter les méthodes traditionnelles qui ont fait leurs
preuves, réussissant quelquefois à rattraper le retard pris par leurs
élèves les années précédentes
- les contrôles de niveau ayant disparu, les redoublements étant
honnis et de toute manière refusables par les familles dans les cas où ils
sont proposés, les élèves sont poussés vers le haut, jusqu'à ce qu'ils
disparaissent des effectifs vers le collège : peu importe alors de
quoi ils sont capables !
La tâche des enseignants s'alourdit d'année en année :
- on impose un travail en équipe par cycle,
- on multiplie les "projets" (d'école, de classe, en groupe...),
- on introduit des dispositifs de soutien individualisés (PEI, PAI),
- on impose la présence dans le cycle normal d'enfants qui devraient
relever de l'enseignement spécialisé, et cela sans qu'ils soient
décomptés de manière particulière dans les effectifs,
- on impose de nombreuses réunions avec les parents, les élus locaux,
- on force les enseignants à tenir une comptabilité au niveau de la classe
sur un modèle de plan comptable digne d'un collège,
- et ne parlons pas des tâches des directeurs : dans les écoles à faible
effectif, leur décharge partielle ne tient pas compte des tâches administratives
incompressibles non liées aux effectifs, et dans les écoles à gros effectifs
(certaines ayant autant d'élèves qu'un collège), il n'y a pas le moindre
personnel administratif en support.
Les enseignants sont donc surchargés et ne peuvent
accomplir correctement leur travail de préparation et de correction.
Il importe d'affirmer haut et fort que la pédagogie doit valoriser la discipline, le
sens de l'effort et le respect d'autrui, et que l'accent doit être mis sur
les "fondamentaux" (français, mathématiques). Les approches
pédagogiques récentes qui d'une part, reproduisant une attitude familiale
de valorisation à outrance de l'enfant, mettent l'éléve au centre du
système éducatif, et d'autre part accordent une importance grandissante à
l'ego et à l'acquis culturel des enfants au détriment des savoirs,
réduisent l'acte pédagogique à un jeu d'admiration mutuelle.
En final les compétences acquises dans le système scolaire perdent du poids
par rapport au niveau culturel hérité du milieu familial, favorisant ainsi
la reproduction des structures sociales en place.
Un exemple.
L'idée que les langues étrangères doivent être enseignées dès
l'école primaire n'est pas à priori stupide : plus les enfants sont jeunes,
mieux ils mémorisent les structures phonétiques et grammaticales. Mais
lorsque l'on fait dispenser cet enseignement à des gens qui ne sont pas
spécialement formés pour cela, qui n'ont pas le niveau que peuvent avoir
par exemple les professeurs de langues, on aboutit à un gachis.
Il vaudrait mieux carrément faire regarder une fois par semaine un film
en version originale sous titrée en français à nos chers bambins : ils en
tireraient plus de profit, comme le font les jeunes neerlandais lorsqu'ils
regardent leur télévision où un programme sur deux est en anglais.
Notons à ce propos la scandaleuse prétention
des IUFM à "former" les professeurs des écoles à l'enseignement des
langues avec un stage de quarante heures (!) et la non moins scandaleuse
priorité donnée à ceux qui ont suivi le dit stage sur beaucoup de postes
de primaire dits maintenant "à profil". Conséquences ahurissantes :
- les enseignants un peu anciens qui veulent être mutés n'ont plus
qu'une chose à faire : aller passer quarante heures dans le dit stage,
- on se passe le "tuyau" maintenant chez les jeunes en IUFM : "fais
le stage de langue si tu veux être bien affecté en sortant",
- les plus honnêtes, qui se disent, sans doute à juste titre, "je ne
suis pas capable d'enseigner les langues", sont pénalisés dans
leur début de carrière !