Le choix des logiciels utilisés dans le système éducatif public,
les procédures conduisant à leur développement, leur mode de diffusion,
leur prix, sont évidemment des éléments sur lesquels le SAGES peut et doit se
prononcer. Des contributions récentes émanant de
l'AFUL (association française des
utilisateurs de logiciels) et d'un
collectif d'enseignants
appelant à l'utilisation
de logiciels libres sont actuellement diffusés, notamment par voie électronique. On pourra aussi
consulter le site de l'APRIL, le site de la conférence
OPEN SOURCE SOFTWARE : ECONOMICS, LAW AND POLICY,
ou encore
l'article du monde du 1/7/02.
Voici quelques éléments précisant la position du SAGES.
Tout d'abord le problème des fournitures scolaires, qu'il s'agisse d'éléments à la charge des familles ou au contraire à la charge de la collectivité n'est pas nouveau : les manuels scolaires, les consommables, les calculatrices, le mobilier scolaire, ... font depuis longtemps l'objet de débats et de choix.
Les logiciels relèvent, depuis l'introduction de la micro-informatique à l'école, de trois types de circuits distincts :
On assiste à un phénomène assez caractéristique : pour une même fonctionnalité, les logiciels ont tendance à voir tout d'abord leur prix baisser dans le système commercial, puis à devenir libres. Certains logiciels sont développés en collectivité et de ce fait sont dès le départ dans le champ des logiciels libres : c'est le cas du système d'exploitation Linux. Certains logiciels, tels que par exemple le logiciel de courrier électronique "Eudora" ou le navigateur "Opera", quasiment les plus performants à ce jour dans leur spécialité, sont à la fois commercialisés en direction des entreprises et utilisables gratuitement par les particuliers ou les institutions d'éducation, la seule différence étant un bandeau de publicité présent sur les écrans (encore que l'on se dirige vers l'abandon de cette pratique pour l'utilisation dans le monde éducatif, avec des licences spéciales).
Il faut distinguer l'offre d'outils généralistes, utilisés aussi bien dans le monde éducatif que
dans le reste du monde professionnels (systèmes d'exploitation, suites bureautique, ...), du
marché un peu à part des didacticiels (logiciels de support à l'enseignement). Ce dernier
marché peut difficillement dépasser les frontières des pays (contraintes de programmes), du
moins pour le primaire et le secondaire. Il pose clairement un problème de structuration
économique de l'offre face à une demande monopsonique (l'éducation nationale).
La position des instances dirigeantes de l'éducation
nationale n'est pas neutre relativement au marché des didacticiels, et cela à tous niveaux,
du primaire à Bac+5. Les positions prises
depuis quelques années, consistant à encourager le développement d'outils internes et la
diffusion horizontale, sur un modèle de partage ou de troc qui ne permet pas la mise en place
d'un circuit de rémunération des auteurs, condamne à l'echec les initiatives privées visant des
marchés de niche. A l'inverse, cela conduit concrètement à la concentration de l'offre sur deux ou trois
grands éditeurs qui vont choisir et rémunérer (grassement) les happy few auteurs, développeurs,
conseillers et prescripteurs chargés d'assurer le succès de leurs produits.
Soyons certains qu'ils éviteront soigneusement de se mettre en concurrence avec
l'auto-édition pratiquée chez leur client et principal concurrent, et qu'ils ne manqueront
pas de sourire du niveau des productions réalisées par des amateurs.
Ajoutons à cela que les conditions dans lesquelles certains enseignants bénéficient de décharges afin de développer des outils et logiciels, sans qu'une obligation de résultat en terme de diffusion des produits ne soit définie, peut donner lieu à des questions sur l'emploi des deniers publics. Pour caricaturer cette politique, on pourrait imaginer que l'on incite les établissements, pour répondre à leurs besoin de transport, à développer chacun leurs propres véhicules grâce aux compétences en mécanique des équipes pédagogiques !
L'intérêt de la collectivité est de disposer des outils les moins chers, à performances égales. Le système éducatif ne peut s'affranchir totalement des finalités de l'enseignement basé sur l'informatique : s'il s'agit de travailler sur un logiciel destiné à l'enseignement des mathématiques, peu importe son origine et son ergonomie, alors que s'il s'agit de préparer des élèves ou étudiants à un métier qui nécessite la maîtrise d'outils informatiques, on doit utiliser des supports pédagogiques proches de ce que le monde du travail utilise.
Une autre contrainte à prendre en compte est le support dont les établissements ont besoin pour leur parc informatique. On doit distinguer en gros trois niveaux :
Il y a des problèmes, essentiellement liés à des situations de monopole ou d'oligopole sur certains secteurs. On peut citer par exemple des logiciels spécialisés dans le domaine du multimédia, édités par des sociétés telles que Macromedia ou Adobe, qui sont diffusés à des prix exorbitants, dont les licences spéciales éducation - très chères - ne comportent pas de clauses de révision de versions. Dans l'absence d'une position commune au niveau national et encore moins Européen, on ne voit pas bien comment briser ce type de situation.
Dans un domaine plus classique, on peut citer la société Microsoft pour trois types d'outils :
Le jugement mérite d'être nuancé. Les systèmes d'exploitation sont fournis à l'éducation nationale
à un tarif relativement raisonnable. La suite bureautique "Office" est chère, mais une suite de
plus bas de gamme ("Works") existe qui satisfait la plupart des besoins du monde éducatif, à
l'exception des dernières années des formations professionnalisantes. Les clients internet
sont fournis gratuitement avec les systèmes d'exploitation, mais le gros reproche que leur
font les professionnels est qu'ils constituent des instruments d'une bataille technico-économique
en vue d'assurer un monopole de Microsoft sur les normes d'internet (internet
n'est pas autre chose qu'une suite de normes). Notons qu'on peut faire le même reproche à la société
AOL et à sa filiale Netscape.
Remarquons enfin que Microsoft est un géant mondial, considéré dans son pays d'origine soit comme
le phare du modèle économique triomphant, soit comme une entité diabolique dirigée par un patron
mégalomane et qui doit être rapidement démantelée grâce à la loi antitrust.
De ce côté ci de l'Atlantique, nombre de réactions sur le sujet des logiciels éducatifs, des systèmes d'exploitation, des choix informatiques de la collectivité, sous entendent beaucoup de non-dit, de structures de pensée économique et politique, voire d'engagement militant de la part de certains brillants informaticiens.
Il convient de faire remarquer que si les logiciels libres, et notamment ceux dont les codes sources sont disponibles, sont ouverts à tous, n'ont pas de "propriétaire", et sont accessibles sur des supports gratuits ou quasi gratuits, ils peuvent entraîner des frais importants de formation à leur utilisation : le marché des sociétés de conseil sur le système Linux est actuellement florissant.
Notons aussi que si certains environnements logiciels (le Mac Intosh, le système Windows, l'environnement java-swing, la norme Posix) imposent aux programmeurs des contraintes qui se traduisent par une homogénéïté de l'ergonomie des applications, et donc une prise en main simplifiée par les utilisateurs, le monde des logiciels libres attire, justement du fait de cet état d'esprit de liberté, des développeurs qui trouvent là un terrain d'expérimentation sur des innovations (ou de prétendues innovations) ergonomiques. Il en résulte que le passage d'une application à une autre entraine souvent un temps d'adaptation, voire des cafouillages irritants : qu'on imagine seulement que l'on doive changer plusieurs fois par jour de véhicule en ayant une fois l'accélérateur à droite, une fois à gauche, etc...
Force est de constater que si la collectivité a des soucis d'optimisation de l'emploi des deniers publics, notamment pour l'achat des outils, ce qui donne lieu à bon escient à la promotion d'outils à bas prix voire gratuits, elle se trouve dans une misère noire pour ce qui concerne les personnels !
Les spécialistes sont trop peu nombreux dans les universités et académies.
Les personnes ressources en établissement ne sont pas assez nombreuses, pas assez formées, sont mal payées (quelques maigres HSA).
Les enseignants de base ne sont quasiment jamais formés et jamais payés pour les investissements qu'ils doivent faire afin d'utiliser l'outil informatique dans la pédagogie.
Le SAGES ne prend pas position sur les choix technologiques proprement dits (Windows vs Linux vs
MacOS, ...), ne porte aucun jugement sur les sociétés privées intervenant sur ce marché,
et part du principe que les choix doivent être élaborés par les intéressés (les établissements,
les enseignants), en concertation avec les bailleurs de fonds (communes, conseils généraux,
conseils régionaux, universités).
Ainsi par exemple, à fonctionnalités équivalentes et dans la mesure où l'ergonomie
est très comparable, le Sages ne pourrait qu'aprouver le fait que des établissements
désirent remplacer "Office" par "Star Office" ou "Open Office".
Le SAGES demande :
Que l'on prévoie la présence dans les établissements de personnels de service, de niveau bac+2 (BTS informatique ou réseaux, DUT informatique ou GTR ou SRC), afin de supporter les outils. Ces personnels doivent être embauchés sur des contrats stables et non boucher des trous sur des supports de type "emplois jeunes".
Que, dans l'attente de la mise en place des personnels sus-cités, les enseignants qui se consacrent au support des outils informatiques soient mieux formés et mieux rémunérés.
Que l'on évalue sérieusement la mise en place des outils informatiques, et notamment du système d'exploitation Linux, en terme d'investissement de formation pour les enseignants.
Que l'on mette en place les moyens humains (formation, support) avant le matériel et le logiciel, et non l'inverse.
Qu'une réflexion d'ensemble soit mise en place, intégrant notamment la prise en compte des coûts humains, pour définir des règles et normes, notamment au niveau de l'ergonomie et de la communication sur les réseaux, pour tous les logiciels utilisés par les enseignants et les élèves.
EN CONCLUSION : le SAGES ne prend pas partie dans le débat sur le thème
"oui ou non aux logiciels libres". Le SAGES réclame une réflexion et une politique
d'ensemble (moyens matériels et humains) visant à optimiser l'emploi des ressources
de la nation vers les TICE.
Notre souci final est la qualité des formations et l'adéquation entre les compétences
des jeunes sortant du système et ce que la société attend d'eux.
Nous refusons que cela se fasse en transformant chaque enseignant en informaticien
bénévole.
Nous ne voulons pas que des économies sur les logiciels se traduisent par une
multiplication des heures passées à leur prise en main par les enseignants.
Lire aussi le texte de JP Desmoulins sur les "TICE".