La msie en place du LMD tourne à la farce

La mise en place du LMD tourne à la farce

Par Jean-Pierre Desmoulins, professeur agrégé de génie électrique

J'avais mis le doigt, dès 2003, sur les incohérences dans la mise en place du modèle LMD (Licence-Mastère-Doctorat) pour restructurer l'enseignement supérieur. Mon article, titré «LMD, y a-t-il un pilote dans l'avion ?», toujours en ligne sur notre site, mettait en évidence le fait que personne au ministère ne semblait avoir vraiment réfléchi à toutes les implications de la réforme, et qu'aucune directive précise n'était donnée aux intéressés sur le terrain.

Une réponse a été apportée à ces questions en juin 2005, à la lecture d’un rapport fort circonstancié écrit par un groupe de l'IGAEN (Inspection Générale de l'Administration de l'Education Nationale) dirigé par Mme Josette Soulas, et qu'on pourrait résumer ironiquement comme suit :

Mettant en avant les objectifs de la réforme sur un plan assez général d'harmonisation des systèmes d'enseignement supérieur européens, et félicitant les autorités universitaires, et notamment la CPU, pour avoir su «motiver leurs troupes», les rapporteurs constatent qu'aucune directive claire n'a été donnée aux intéressés sur le terrain. On a invité «la base» à prendre des initiatives, à présenter des projets, à innover. Et on a pu constater effectivement un investissement certain de la part d'enseignants et d'enseignants-chercheurs (le rapport ignore délibérément la première de ces catégories de personnels) qui ont travaillé, ont fait des propositions et mis en place des actions. Bien évidemment, aucune cohérence entre tous ces efforts, puisque la plus grande initiative était laissée aux intéressés.

Une fois cette phase d'expérimentation mise en place, les auteurs de la réforme se chargent (ou vont se charger) d'évaluer les résultats. On peut même lire, très sérieusement, à moins qu'il ne s'agisse de quelque humour de la part des rédacteurs, que la méthode peut être qualifiée de «pilotage par l'évaluation» !!! Les rapporteurs constatent, à mots bien évidemment circonstanciés, que passé une certaine phase d'enthousiasme, les intéressés constatant qu'on ne leur donnait pas de directives claires sur la manière de franchir tel ou tel obstacle, et notamment ceux que j'avais identifiés (cf. page internet citée supra), ont posé leur stylo et réclamé des directives claires. Ils les attendent toujours...

N'étant pas soumis à la même obligation de réserve que les distingués membres du groupe de l'IGAEN qui a travaillé sur ce sujet (du moins, pour ce qui concerne la partie publiée de leur rapport), je vais aller un peu plus loin dans les commentaires. Comme il est d'usage en pareil cas, je vais remplacer les noms des personnes et des lieux par des lettres.

On a demandé à un éminent membre de la haute hiérarchie de l'Education Nationale, M. X., ancien président d'Université à A., ancien recteur, de présider à la mise en place de cette réforme. Il faut savoir que M. X. est professeur d’une spécialité médicale qui ne relève pas du modèle LMD : l'objectif des études médicales est de devenir docteur ! Les membres du SAGES qui officient dans l'académie de A. ne semblent pas avoir constaté, lorsque M. X. était à l'oeuvre localement, d'aptitudes particulièrement brillantes à conduire des projets ambitieux. Peut-être parce qu'on constatait que les choses étaient mal engagées, on lui a adjoint M. Y., ancien président de l'Université B.

M. Y. est professeur, comme M. X., d’une spécialité médicale (idem pour ce qui est de la capacité à comprendre les difficultés de la réforme). Pour ce qui est des aptitudes, M. Y. ne s'est pas fait remarquer non plus pour avoir engagé son université dans des actions particulièrement spectaculaires. En dehors du fait d'avoir fait voter par son conseil d'administration une motion fustigeant l'élection de telle personnalité à la présidence de la région avec les voix d'un parti honni, ou encore d'avoir engagé, sous la pression d'une rectrice féministe notoire, des poursuites disciplinaires contre un professeur dont le principal tort était de s'être trouvé au mauvais endroit et au mauvais moment dans une sombre histoire dont la presse caniveau pourrait se délecter, il n'a guère brillé sur le terrain.

Devant cette situation, on a apparemment demandé au CNESER de bien vouloir donner son avis sur la réforme, espérant peut-être que de cette institution démocratiquement élue pourrait se dégager quelque directive claire, ou peut-être de voir quelqu'un se lever et dire «j'ai des heures de vol, je peux piloter...». Pour avoir approché à courte distance les membres de cette institution et vu leur capacité à juger de situations de terrain compliquées, je ne suis pas surpris du résultat : c'est un peu comme si on avait demandé à un groupe de passagers excités sur la composition des repas servis à bord si l'un d'entre eux voulait bien prendre les commandes...

En bref, du fait de l'incohérence du pilotage du projet, le vol s'est terminé par un crash. En particulier les difficultés que j'avais soulignées dès le départ, notamment le devenir des filières bac+2 ou bac+4, ou encore l'articulation de la charnière licence-mastère, n'ont pas le moins du monde été résolues. Les replâtrages qu'on peut constater ici ou là masquent mal le fait qu'on ne peut demander à des enseignants, pris dans l'ancien modèle 2-4-7 de passer graduellement par leur propre initiative sur le terrain à un modèle 3-5-8. Enfin, les intéressés, quelque peu dépités de cette situation, finissent par dire qu'ils en ont assez d'être pris pour des c...obayes.

Même si les mots du rapport de l'IGAEN sont choisis pour ne pas mettre en évidence de manière trop brutale cette situation, il faut le lire entre les lignes pour y voir un constat d'échec en bonne et due forme. Il est temps de réagir et, soit de mettre aux oubliettes cette réforme, soit d'en confier le pilotage à des gens sérieux. On pilote un tel projet en évaluant les besoins (et non des initiatives sur le terrain), en demandant aux intéressés (les branches professionnelles) d'exprimer leurs demandes, en terme de capacités attendues des différents niveaux de diplômes, puis en donnant des directives claires sur la manière de procéder pour passer de l'ancien système au nouveau. Puisqu'il faut bien constater qu'il n'y avait pas de pilote dans l'avion, on doit maintenant poser la question de savoir si quelqu'un dirige la compagnie aérienne...

Jean-Pierre Desmoulins
Ingénieur
Professeur agrégé à l'Université Joseph Fourier de Grenoble