J'ai lu avec beaucoup d'intérêt les deux articles du Journal du RAD n°5 consacrés au syndicalisme. Des analyses parfois très pertinentes et de bonnes interrogations, même si les auteurs de ces articles semblent chercher des réponses là où elle ne peuvent pas ou plus leur être fournies. Je formulerai donc plusieurs remarques.
On peut regretter tout d'abord que MM. Mallard et Mesguen, comme beaucoup d'autres collègues, hélas, ne parlent que du SNES tout en évoquant les syndicats. Il est à la fois dommage et bien curieux que de très nombreux enseignants considèrent - ou laissent entendre - que le principal syndicat d'enseignants est le (seul) syndicat d'enseignants. On peut ne pas leur en tenir rigueur : Le Monde et les médias en général font la même chose, qui donnent en pâture à l'opinion l'image d'un syndicalisme ringard, en panne d'idées, en panne d'action, en panne de crédibilité, bref, en panne de tout ! Et les pauvres snesards, dépités, de discourir avec langueur et force soupirs, mais avec encore quelque espoir, de leur idéal du syndicalisme. Disons-le tout net, c'est peine perdue ! Car le Snes n'a pas de doctrine : sa "stratégie" consiste à se laisser porter au gré des événements par les quelque 55% de ses résultats aux élections professionnelles, qui sont le fait, à mon avis, non pas d'une adhésion majoritaire à son discours ou à son action mais du suivisme de nos collègues (fort paradoxal dans un milieu comme le nôtre !), lui-même entretenu par une certaine "tradition" syndicale : on est au Snes comme on est à la MAIF ou à la MGEN, par défaut ! On est au Snes parce qu'on a tous la même approche de l'enseignement et des enseignants (conditions de travail, pédagogie, programmes, méfiance envers les ministres, etc.), parce qu'on rêve tous du même paradis mutualiste et solidaire, parce qu'on se dit "tu", qu'on vote tous à gauche, en un mot, parce qu'on est rassurés de tous "penser pareil", de tous "penser unique".
Voilà pour le discours affiché des adhérents du Snes et surtout de ses caciques. On s'en laisserait presque convaincre. Mais à y regarder de plus près, on s'aperçoit que beaucoup sont au Snes par intérêt personnel. En effet, son audience et ses nombreux commissaires paritaires confèrent au Snes le pouvoir de promouvoir X ou de muter Y conformément à son voeu, souvent sans aucune considération pour ceux qui, non syndiqués ou syndiqués ailleurs, mériteraient objectivement cette mutation ou cette promotion. Or, c'est là que se manifesterait l'authentique intérêt collectif, celui qui ferait passer l'école et la qualité de l'enseignement, les compétences et le mérite devant les intérêts très personnels du collègue X ou Y dont le seul "mérite" est d'être à jour de cotisation, ou de savoir manifester bruyamment sous les banderoles et les "montgolfières" du puissant syndicat. L'idéal égalitaire, donc, toujours ostensiblement affiché, fait place, en notre for intérieur, à la défense d'un individualisme à tous crins.
Quant aux TZR, rien d'étonnant à ce qu'ils existent : il faut bien que l'on procède au remplacement de très nombreux collègues providentiellement titulaires de leur poste, mais absents (ou absentéistes) chroniques et néanmoins protégés, voire absous par leur syndicat de prédilection. Solidarité oblige !
On m'accusera probablement de cynisme, mais mon cynisme sera sans doute jugé préférable à l'hypocrisie ou à la lâcheté de certains.
Existe-t-il une alternative ? Oui, il en existe même plusieurs. On voit surgir ici et là des collectifs, constitués par des professeurs décidés à organiser eux-mêmes leur action autour de préoccupations spécifiques, disciplinaires ou autres. Pourquoi tous ces collectifs ? Parce que les syndicats traditionnels, dont le Snes évidemment, ne savent pas ou plus mobiliser leurs troupes, faute de doctrine, faute d'avoir des idées et des propositions précises sur les sujets qui intéressent les enseignants. Et puis il y a l'autre syndicalisme, encore minoritaire, qui, fondé sur une véritable doctrine, s'efforce de rassembler tous ceux qui savent ou ont compris que le Snes et les autres grands syndicats ne proposent rien, s'opposent à tout, et privilégient leurs adhérents, réels ou putatifs, dans les commissions paritaires où le nombre de leurs sièges dépend directement de leurs résultats aux élections professionnelles. D'où le sursaut idéologique et les promesses adressées à chaque corps d'enseignants dans les professions de foi. Les professeurs agrégés, par exemple, sont courtisés tous les trois ans par le Snes, le Sgen, le Snalc, etc., mais immédiatement sacrifiés aux autres corps dès que les élections ont eu lieu. Je parle des professeurs agrégés car j'en suis un, et que, comme nombre de mes collègues, j'ai souffert du splendide isolement qui est le nôtre depuis bien longtemps. Je parle des agrégés parce que j'ai, avec d'autres collègues, fondé il y a quatre ans un syndicat national et catégoriel, le SAGES, dont le but premier est de représenter et défendre enfin les professeurs agrégés, ceux dont on dit trop souvent qu'ils sont les nantis du système, qu'ils travaillent moins et gagnent plus que les autres, qui sont jetés dans la mêlée des mutations sans aucune considération pour la spécificité de leur formation et de leurs compétences et qui, enfin, commencent à comprendre que ce sont toujours les mêmes, c'est-à-dire eux, que l'on néglige dans notre grande famille unitaire, que l'on sacrifie au soi-disant intérêt collectif.
Quel argument oppose-t-on le plus souvent au SAGES et aux agrégés qui n'ont plus honte de l'être, qui aspirent à une légitime reconnaissance ? Celui du corporatisme et de l'égoïsme, insoutenables déviances dans ce monde harmonieux, solidaire et altruiste qu'est l'Education nationale. Mais le Snes et les autres ne sont-ils pas les syndicats de tous les corporatismes, ceux des professeurs certifiés, des MA, des MI-SE et ... des TZR, prompts à fustiger le corporatisme des agrégés ? Il est temps que nos collègues appliquent à eux-mêmes l'honnêteté intellectuelle, la tolérance et la refléxion qu'ils sont censés inculquer à leurs élèves ou à leurs étudiants.
Confraternellement vôtre,
(*) RAD : Réseau Action Défense des professeurs cobayes du libéralisme dans le système scolaire (!)