Je n'ai pas été à proprement parler choqué du discours
du ministre sur la réforme des études en IUFM.
Qu'il faille revoir la formation des instits (pardon, des professeurs des écoles)
et des profs était pour moi une évidence.
Mais ce qui me parait dangereux est le raisonnement qui est en filigrane derrière ce discours :
- L'école, le collège et le lycée ne fonctionnent plus
comme une machine à égaliser les chances ni comme outil de base
de structuration du corps social. Bien au contraire, elle met en évidence
et renforce des mécanismes d'exclusion.
- Si l'on améliore la formation des enseignants, on viendra à
bout de ce problème.
Pour faire simple, si l'école produit des exclus, la faute en revient
aux enseignants qui ne sont pas formés en vue d'éviter cela !!!
Contre vérité fondamentale, erreur de logique, ou pire, volonté
de mettre sur le dos des enseignants les conneries faites par les politiques
et l'administration du M.E.N. depuis quarante ans...
Je vais me référer, à titre d'exemple, à deux constations
objectives :
- Il m'arrive de jeter un oeil amusé sur des lettres écrites
il y a bientôt un siècle, par des poilus dans les tranchées.
Intéressant sur le plan historique évidemment, mais édifiant
sur l'évolution de la pratique du français. Il s'agissait alors
en majorité d'enfants d'agriculteurs, formés jusqu'au "certif"
par l'école du village. Et lorsque je compare ces belles phrases, cette
maîtrise de la grammaire et de l'orthographe, à ce qui produisent
aujourd'hui la plupart de mes étudiants d'IUT...
- L'armée a malheureusement supprimé les tests des "trois
jours". Le constat qui avait été fait peu avant leur suppression,
en observant les résultats à ces tests sur la durée de
leur application (une quarantaine d'années ?) était que si la
moyenne était stable, l'écart type augmentait. Donc plus (+) de
très bons résultats (les bons bacheliers) et plus (+) de très
mauvais (les ratés de l'école primaire et du collège).
Les instits d'il y a un siècle (ceux des poilus) ou ceux d'il y a quarante ans (début des tests d'incorporation) étaient-ils mieux formés que les professeurs des écoles d'aujourd'hui ? Probablement différemment, certes, mais sans qu'on puisse incriminer le niveau des formations. Encore qu'on pourrait faire un rapprochement impertinent (ou pertinent, qui sait...) avec l'injection dans les IUFM d'idées et de méthodes issues de certains cénacles de chercheurs en pédagogie !
Le problème fondamental n'est probablement pas là.
A MON AVIS, IL FAUT PLUTOT INCRIMINER :
La conception des programmes : allègement régulier des "fondamentaux" (maths, français) au profit d'autres matières.
La perte du sens de l'effort et du travail comme "valeur de société", ou plutôt la répartition très inégale de cette valeur au sein du corps social et sa non prise en compte dans les méthodes pédagogiques "officielles".
Le manque criant d'évaluation régulière du niveau réel obtenu par les élèves. On ne le fait que quatre fois dans toute leur scolarité, bac compris. Il faudrait le faire chaque année et ne pas se contenter de faire des statistiques globales pour la satisfaction (ou l'horreur) des initiés qui peuvent les consulter.
L'absence d'évaluation de l'efficacité des enseignants. Si les élèves étaient tous évalués chaque année, on aurait vite fait de mettre le doigt sur les cas où les problèmes viennent des enseignants, ce qui peut effectivement arriver. Mais un problème identifié est déjà à moitié résolu.
En corollaire, la décorrélation entre les résultats obtenus par les enseignants et leur carrière. Les enseignants sont-ils seulement conscients des résultats qu'ils obtiennent ? Pour exprimer le diagnostic à la mode systémique : il manque un "feed-back" ;)
L'intervention des parents dans la vie des établissements. C'est bien connu, ils ont tous enfanté des génies et si leurs enfants ne réussissent pas, c'est évidemment à cause des enseignants.
La suppression systématique des redoublements, sous la pression à la fois de l'administration et des parents des dits génies par voie de recours.
La suppression des devoirs à la maison en primaire.
L'absence de structures adaptées aux cas particuliers (caractériels, cas sociaux, handicapés intellectuels légers), et/ou leur non prise en compte dans les effectifs avec un coefficient adequat lorsqu'ils sont intégrés dans les cycles normaux.
La difficulté de scolariser, avec un corps enseignant fortement féminisé, des garçons issus de cultures dans lesquelles le sexe féminin ne peut prétendre avoir de l'autorité sur le sexe masculin.
A la racine du problème, LE PLAN LANGEVIN-WALLON, fortement teinté d'idéologie politique, postulait que tous les enfants sont égaux et doivent être éduqués dans le même moule jusqu'à 14 ans. On a mis un demi-siècle pour arriver à son application. On voit maintenant le résultat !
En conséquence de ce désastre, les familles qui ont compris les enjeux et savent que l'éducation de leurs enfants est de leur ressort autant que de celui de l'école, mettent la pression là où il le faut (devoirs, cahiers de vacances, leçons particulières, suppression de la télé, motivation à la lecture, récompenses et punitions, etc.).
On en est revenu au moyen âge, où seuls ceux qui étaient riches et/ou instruits pouvaient prétendre à voir leurs enfants devenir riches et/ou instruits. Jules Ferry doit s'en retourner dans sa tombe !
Merci à MM Langevin, Vallon, et tous leurs zélés successeurs, syndicats d'enseignants en tête ! Qui veut faire l'ange fait la bête, écrivait Pascal.