Sciences de l'éducation et formation des professeurs

Sciences del'éducation et formation des professeurs:
Le SAGES dénonce une situation inadmissible!

Les lauréats du Capes et de l'Agrégation vivent de plus en plus mal l'année de " stage " qu'ils ont à subir au sein des IUFM (Instituts Universitaires de Formation des Maîtres) , année dont la vocation est de compléter leur formation théorique par une instruction pratique et pédagogique, et à l'issue de laquelle est prononcée, ou non, leur titularisation.

Certes, des témoignages individuels et des initiatives collectives dénoncent depuis plusieurs années l'état d'esprit et les abus qui règnent dans les IUFM, et le SAGES (Syndicat des agrégés) a toujours adopté une position claire sur la question de ces " instituts " et de l'idéologie qu'ils relayent.

Mais la situation s'aggravant de façon inquiétante, la déontologie nous commande de prendre à nouveau la parole.

Personne n'a jamais contesté, bien au contraire, qu'un futur professeur ait besoin, au-delà de sérieuses connaissances dans une spécialité donnée, d'une formation pratique.
Mais, dans les IUFM, on se préoccupe moins de former des professeurs que de formater des enseignants à l'aune des " sciences de l'éducation ".

Nous ne dresserons pas ici l'historique des dites " sciences ". En revanche, ce que nous avons le devoir d'en dire, c'est que :

  1. bien qu'elles prétendent - au gré de leurs (r)évolutions permanentes… - détenir LA vérité en matière de pédagogie, ces " sciences de l'éducation ", qui sont à la source de la faillite des écoles publiques anglo-saxonnes , ont déjà commencé leurs ravages en France, où l'on dénombre, à l'entrée en sixième, 25 % d'enfants en grande difficulté en lecture et expression écrite ;

  2. leur scientificité est une imposture, le pédant jargon dont elles sont encombrées attestant moins de la rigueur que de l'indigence et de l'obscurantisme ;

  3. elles cautionnent la destruction de l'école républicaine en propageant l'idéologie suivante : la mission de l'école d'aujourd'hui n'est plus d'instruire des élèves mais de " socialiser des apprenants ".

  4. Précisons :

    • l'école républicaine a pour idéal l'égalité des droits en matière d'instruction : instituant des citoyens, rendus éclairés par la Connaissance, elle forme, dans le même mouvement, des élites, sélectionnées par le mérite, et issues potentiellement de toutes les couches de la société  ;

    • l'école à laquelle aspirent les scientistes de l'éducation est celle de l'égalitarisme totalitaire : elle consiste en une gigantesque garderie, où les bons élèves sont des anti-modèles, et dont la haute ambition est de fournir à tous et de la même façon un bagage culturel minimal, réduit à des fins utilitaristes.

  5. les " militants du pédagogisme " qui, parfois, n'ont jamais enseigné , ou n'enseignent plus depuis des décennies, qui, souvent, ont trouvé dans leurs prétendues sciences le moyen d'acquérir une notoriété universitaire qu'ils auraient été incapables d'obtenir autrement ; ces militants n'œuvrent pas seulement en IUFM : ils occupent désormais nombre de positions stratégiques relatives à la politique éducative de notre pays &endash; inspection, conseil au ministère, groupes de travail destinés à l'élaboration des programmes, formation de formateurs (sic), formateurs, chefs d'établissements, conseillers pédagogiques…. -. Autrement dit, ils font partie des instances de décision concernant le contenu et l'orientation des études pour toute la jeunesse de la nation et la formation des professeurs.

Il y a incompatibilité de nature entre le " pédagogisme ", en vogue dans les IUFM, et l'idéal d'instruction.
On conçoit, dès lors, que la formation pédagogique et didactique dispensée aux professeurs stagiaires dans les IUFM procède :

  1. de la disqualification du savoir universitaire, le discrédit jeté sur des compétences disciplinaires authentiques, étant " justifié " dans la mesure où il s'agit moins, dans les IUFM, de former des professeurs destinés à instruire et dont on valoriserait le haut niveau dans leurs disciplines, que de fabriquer de futurs " professionnels-pédagogistes " à compétences variées, capables d'embrasser tout à la fois les rôles de baby-sitters, de prêtres, d'amuseurs, de thérapeutes, de travailleurs sociaux… et desquels on n'attend pas, pour le coup, qu'ils manifestent des connaissances trop pointues dans une matière donnée.

  2. à l'embrigadement et au formatage des professeurs stagiaires, de manière autoritaire s'il le faut : on ne compte plus les jeunes titulaires des concours qui, s'ils sont repérés comme n'adhérant pas fanatiquement aux dogmes des " sciences " de l'éducation, ou sont suspectés de mettre en doute le sérieux de certains modules auxquels ils sont tenus d'assister - dont les intitulés permettent parfois de mesurer la vacuité (exemple : " la mobilité oculaire chez l'apprenant " - ou s'ils sont simplement désireux de poursuivre des études universitaires, deviennent les victimes d'un chantage éhonté à la titularisation, par le biais de pressions et d'intimidations inacceptables.

Le SAGES ne saurait accepter que continue d'être bafoué le principe fondamental suivant : la mission de l'école publique est d'assurer à chacun de ses élèves le droit d'être instruit, et, par conséquent, la vocation des maîtres est de transmettre des connaissances.

Il est inadmissible que des " instituts " destinés à la formation des personnels d'enseignement soient en réalité des lieux de propagande, qui plus est d'une idéologie dont les discours et les méthodes montrent clairement qu'elle concourt à une vaste entreprise de démolition de l'instruction publique, du savoir et de la culture.

Il est intolérable qu'en France, pays libre et éclairé, la formation d'un professeur puisse relever conjointement de la haine de la Connaissance, du terrorisme intellectuel et du harcèlement moral.

Il est nécessaire, à court terme, de " limiter les dégâts ".

Les IUFM se sont déjà vus confier l'intégralité de ce qui relève de la formation permanente des professeurs.
On observe maintenant des tentatives répétées dans le but de placer sous leur contrôle le contenu des épreuves théoriques du Capes : il s'agit évidemment de dénaturer le caractère universitaire du concours théorique en en dépouillant les épreuves de leur contenu disciplinaire - le mot clé est " professionnalisation " des épreuves - et, à moyen terme, d'en faire un concours régionalisé : ironie , la mise en place des IUFM ayant été officiellement justifiée par la nécessité de donner un caractère universitaire à la formation des maîtres…

Pour ce qui concerne l'agrégation, l'Université, et elle seule, en assume la préparation : c'est certainement la raison pour laquelle les règlements intérieurs des IUFM concernant la formation pratique des lauréats " aux concours " ignorent de mentionner le cas des agrégés stagiaires, et que certains formateurs IUFM semblent se complaire au dénigrement systématique de ces jeunes lauréats...

Aux ambitions des pédagogistes et à leurs pratiques répondra désormais, et de façon systématique, l'action résolue du SAGES.
Certes, notre syndicat s'est toujours présenté comme ardent défenseur du caractère authentiquement universitaire de la formation des professeurs et, en particulier, puisque telle est sa vocation, de celle des professeurs agrégés : la proposition concernant la formation pratique des lauréats du concours de l'agrégation, et présentée dernièrement en audience au ministère de l'éducation nationale, établit clairement que les IUFM ne sont pas fondés à assurer une formation didactique et pratique aux agrégés, dont la formation disciplinaire ne leur appartient pas, et s'oppose à ce qu'une telle formation, avec éventuellement chantage à l'appui, puisse conditionner la titularisation de ces professeurs.

Mais aucune réflexion de fond, aucun dialogue avec l'administration, ne saurait être satisfaisant s'il conduit à négliger les actions destinées, en particulier, à prémunir les agrégés stagiaires des abus mentionnés plus haut.
Le SAGES s'engage à multiplier, si nécessaire, les actions en justice, pour faire sanctionner les atteintes aux droits et à la dignité des personnels enseignants, notamment sur le fondement de la charte sociale européenne (Strasbourg, le 13 mai 1996) qui dispose ("Droit à la dignité au travail") "qu'en vue d'assurer l'exercice effectif du droit de tous les travailleurs à la protection de leur dignité au travail", l'état français s'est engagé "à promouvoir la sensibilisation, l'information et la prévention en matière d'actes condamnables ou explicitement hostiles et offensifs dirigés de façon répétée contre tout salarié sur le lieu de travail ou en relation avec le travail, et à prendre toute mesure appropriée pour protéger les travailleurs contre de tels comportements".

Au-delà des " procédures d'urgence ", il s'agit de mettre à bas la dictature du pédagogisme, afin de reconquérir le respect de la compétence intellectuelle et la liberté pédagogique, sans lesquels aucun enseignement de qualité n'est possible.

Il est clair que cet idéal ne s'assortit pas avec l'existence des IUFM.
Malgré tout, une vision globale de la situation nous convie à considérer qu'à terme, ce n'est pas tant sur la suppression des IUFM qu'il s'agit d'insister que sur la nécessité absolue d'une mise en questions de " la loi d'orientation du 10 juillet 1989 " et ses prolongements qui s'en trouve être à l'origine : de cette loi, qui conditionne toute la politique éducative de notre pays depuis les années 1990 , les IUFM sont en réalité " l'exécutif direct " - en cela, d'ailleurs, les conclusions du Comité National d'Evaluation (CNE) selon lesquelles " les IUFM remplissent les missions pour lesquelles ils ont été créés " constituent une tautologie (tout moyen prévu par la loi pour faire exécuter la loi est forcément conforme à la loi…) et n'apportent en cela aucune contradiction aux critiques que nous formulons .

Cette mise en question de la loi d'orientation de juillet 1989, le SAGES se déclare prêt à y participer, de façon honnête et approfondie.
Mais les " réformateurs " de tous bords seront-ils capables de faire preuve d'esprit de vérité et de courage, au risque de devoir reconnaître qu'ils se sont trompés ? Rien n'est moins sûr.

Quoi qu'il en soit, que le jour vienne, vite, où le cynisme abject de certain inspecteur de l'Education nationale, selon lequel "l'instruction ne se transmet pas, parce que seules les maladies se transmettent" ne soit plus accueilli comme un trait d'esprit mais tenu pour ce qu'il est : une atteinte indigne à l'honneur de ceux dont la vocation magnifique est d'instruire.

Ce jour-là, nous pourrons nous réjouir, peut-être, d'être à nouveau sur le bon chemin.

Virginie HERMANT

Communiqué de presse SAGES du 10/12/2001