Concours, mérite et justes inégalités

Concours, mérite et justes inégalités

Message posté sur un forum du SNES par un collègue se présentant sous le pseudonyme"Vandale", en réponse à une intervention de QD, représentant du SNES).

  1. QD met en cause le recrutement par concours, or c'est le seul qui soit juste.
    Le recrutement anonyme est le seul qui permette d'éviter le népotisme, le racisme, le favoritisme...

    Dans un recrutement sans concours, les réseaux, l'entregent, les comportements culturels hérités (et qu'on n'apprend pas à l'école) ont une importance telle qu'ils favorisent les classes déjà favorisées.

    Beaucoup de fils d'ouvriers, d'employés ont obtenu par le concours une promotion sociale, devenue illusoire en l'absence de concours.

    Il est donc curieux de voir des professeurs se réclamant de la gauche être hostiles au concours, alors même que le concours est le fondement de l'égalité. Il est vrai que le post-modernisme d'une certaine gauche est si éloigné des Lumières que l'héritage de 1789 et de la République constitue pour eux des références quasi-gothiques dont il est temps d'effacer le souvenir...

  2. Le concours accroît le niveau des certifiés et des agrégés  :

    Tous ceux qui ont préparé le concours le disent.

    C'est donc que ces concours ne sont pas uniquement des concours de recrutement  : par la préparation qu'ils nécessitent, ils sont un moyen d'accroître sensiblement le niveau des connaissances universitaires du futur professeur. On en sait plus en ayant préparé le concours qu'au sortir de sa licence et de sa maîtrise.

    Au surplus, c'est trahir un secret de Polichinelle que d'affirmer que toutes les licences ne se valent pas (parce que les licences et maîtrises sont des examens locaux, malgré leur reconnaissance nationale, contrairement au bac) : avoir une licence à Paris donne en moyenne un meilleur niveau qu'une licence à Pau ou Brest (je généralise bien sûr).

    En l'absence de concours, on peut penser que le recruteur choisira plutôt les étudiants qui sortent d'universités prestigieuses, ce qui est source d'inégalité : l'étudiant qui a suivi ses études à Pau ou Brest l'a sans doute fait pour des raisons financières, et il sera donc pénalisé parce qu'il est issu d'une famille pauvre.

  3. Payer tous les profs selon le même salaire revient à dire qu'ils enseignent la même chose, et qu'ils exercent le même métier.

    Or, on a vu plus haut que préparer un concours (et a fortiori le réussir) est le signe d'un accroissement du savoir.
    Or, plus on sait, mieux on enseigne : il y a une corrélation évidente entre le degré de maîtrise d'une discipline et la capacité à la transmettre.

    On trouvera toujours des contre-exemples mais, en moyenne, un agrégé transmet plus de choses et mieux qu'un certifié. En ce sens, ils ne font pas exactement le même métier.

    C'est observable dans la réalité. Le nier supposerait que la quantité de savoir n'intervient en rien dans l'acte d'enseigner ou plutôt, qu'au-delà d'un socle minimal de connaissances nécessaires pour enseigner, tout savoir supplémentaire n'améliore pas la qualité d'un cours. Qu'un enseignant puisse une seconde penser cela est à mon sens grave, et traduit combien le décervelage pratiqué par les "sciences de l'éducation" est profond et combien la propagande des IUFM est efficace : car si la pédagogie est utile, elle ne peut se passer de connaissances à transmettre.

    Et plus de connaissances ne sont jamais un handicap, bien au contraire. A moins, bien sûr, que des considérations didactiques n'aient amené à réduire tellement les savoirs à transmettre (voir la dictée du brevet 2000, contre laquelle me semble-t-il le SNES ne s'est pas insurgé) que le professeur ne soit plus qu'un animateur, avec peu de connaissances à transmettre.

    Nous sommes ici dans la lignée de la politique éducative actuelle (voir les nouveaux CAPES) : on se dit que QD ira loin, et qu'il vaut mieux s'en faire un ami, il pourrait devenir Recteur, ou Directeur de l'enseignement scolaire rue de Grenelle. Il se croit rebelle, il n'est que l'accoucheur de l'air du temps !

  4. Une précision : le CAPES est un concours de recrutement, l'agrégation est à la fois un concours et un grade universitaire, ce que n'est pas le CAPES.

  5. Une contradiction : QD plaide pour la reconnaissance de l'expérience professionnelle (par qui ?), qui se substituerait ainsi au concours, et en même temps se félicite que le statut de 1947 permette à tout le monde de progresser à l'ancienneté.

    Autrement dit, je suis meilleur enseignant, non pas parce que j'ai plus de savoir, non pas parce qu'un évaluateur extérieur a constaté que j'avais réellement progressé dans ma pratique professionnelle (pédagogique par exemple), mais seulement parce que j'enseigne dans une classe depuis 10 ans. Le fait d'être dans une classe (quoi que j'y fasse) depuis 10 ans me donne de l'expérience et ipso facto de l'avancement.
    Ou plus justement : tous ceux qui enseignent depuis 10 ans ont acquis la même expérience professionnelle et donc auront le même avancement. Autrement , nous ne sommes plus des êtres humains différents, mais des abstractions, ou à l'inverse des choses absolument identiques : de même qu'au bout de 10 ans, les machines s'usent de la même façon, les professeurs au bout de 10 ans ont progressé de la même façon. Ce qui est faux dans la réalité.
    D'où une contradiction.

    Si le fait d'exercer le même métier doit valoir droit à même salaire, ce qui est une logique qui a sa cohérence interne, alors le salaire est lié en fait à la pratique professionnelle. Meilleur je suis devant l'élève, mieux je dois être payé puisqu'en effet un professeur meilleur n'accomplit pas tout à fait le même métier qu'un professeur moins bon, étant donné qu'il accomplit mieux son métier. Comme il y a de bons profs et de moins bons, il faut alors individualiser les salaires. Avec ce que cela suppose comme réactions parmi les professeurs, pas très partisans de cette idée, et ce que cela suppose comme arbitraire dans l'évaluation (on sait tous qu'il y a des profs meilleurs que d'autres, mais comment les évaluer ?..) .
    QD ne va donc pas jusqu'au bout de sa logique : reconnaître l'expérience, c'est la valider par une évaluation, c'est donc individualiser les salaires.

    Je préfère quant à moi une évaluation plus objective et plus stimulante  : le concours (interne ou externe).

  6. Nous ne somme pas seulement des salariés de l'EN, il faut le réaffirmer.

    Ou alors, c'est reconnaître que nous ne sommes que des prestataires de services, qu'un secteur privé peut également fournir de façon peut-être plus efficace, la concurrence aidant. Auquel cas, il faut aller jusqu'au bout de sa logique  : l'école peut être privatisée !
    Dans ce cadre conceptuel, le concours n'a plus de sens : là encore QD ne va pas jusqu'au bout de sa logique...

    Or, il faut le marteler avec vigueur : l'Ecole n'est pas un service public comme EDF ou la Poste, c'est une INSTITUTION. Elle est là pour instituer le peuple, pour former des citoyens, c'est-à-dire des individus arrachés à des croyances héritées de leur milieu (familial, régional, religieux, ...), arrachés à leur déterminisme social, culturel, etc. et capables de raisonner par eux-mêmes.

    L'Ecole a pour mission de déraciner pour faire accéder à l'universel.

    Elle n'est donc pas le reflet de la société ; elle ne répond pas une demande qu'exprimeraient entreprises, parents, consommateurs-élèves, et que sais-je encore, ce que font les autres services publics comme la Poste ou EDF : l'Ecole, elle, précède la société.

    Dès lors, elle a besoin d'instituteurs (qui instituent l'élève dans l'enfant) et de professeurs (qui transmettent savoirs et esprit critique) hautement qualifiés. Leur mission est plus importante que celle des postiers, des ingénieurs ou des autres corporations.

    Sans l'Ecole, la République n'existe plus et c'est la loi du marché qui domine les savoirs, les croyances, les appartenances, les niveaux de vie, l'attribution des positions sociales...

    On se doit donc d'être particulièrement exigeant quant à la formation des maîtres : le concours sert à cela. Il est la garantie du niveau homogène et élevé des professeurs.

    Sans concours, on sait bien que les professeurs de Seine-Saint-Denis seraient recrutés au rabais : d'où une école à deux vitesses, reflet d'une société inégalitaire.

    Ce projet, je n'en veux pas ! Tous les élèves ont droit à une instruction de qualité, y compris les pauvres !

  7. La critique de la méritocratie est toujours gênante chez un professeur.

    Car nous sommes, nous professeurs, issus de cette méritocratie, et notre rôle dans nos classes est de la mettre en oeuvre, en distinguant les élèves méritants des autres.

    Ne faisons pas semblant de découvrir que notre rôle est aussi de sélectionner ceux qui occuperont les postes qui nécessitent le plus de savoirs, de connaissances (médecins, professeurs, magistrats, ingénieurs, ...).
    Car si nous ne le faisons pas, c'est le marché qui le fera, de façon plus injuste encore. En sélectionnant, c'est-à-dire en notant, nous appliquons le principe méritocratique.

    D'où la contradiction : comment admettre la méritocratie dans nos classes, si nous la refusons ensuite entre adultes, par exemple entre professeurs  ?
    Comment noter nos élèves, et donc les distinguer dans leurs différences, si nous refusons de distinguer entre certifiés et agrégés ?

    En toute logique, QD devrait être favorable à la suppression de la notation des élèves, à la suppression des redoublements, au passage automatique en classe supérieure.

    Si tous les adultes se valent, tous les élèves se valent aussi. On remarquera que ce principe est un peu à l'oeuvre aujourd'hui : au nom d'une conception fausse de l'égalité, on souhaite aligner tous les professeurs sur le même plan (l'utopie du corps unique) de même que dans nos classes depuis 20 ans on allège nos exigences et on gère les flux d'une classe à l'autre jusqu'au bac.

    Ce faisant, on n'a pas supprimé les inégalités : elles subsistent de façon plus hypocrite, le fils de prof connaissant les ficelles pour choisir les meilleures filières, soi-disant égales, le fils de prolo se faisant berner par le discours des 80% au bac.

    Ce discours égalitariste est fondé sur l'idée que toutes les inégalités seraient injustes. C'est contestable : toutes les inégalités ne sont pas injustes, Rawls et Sen l'ont bien montré.
    Par exemple, un adulte qui travaille à temps partiel gagne moins qu'un autre adulte effectuant des heures supplémentaires : c'est une inégalité de salaire qui est juste. Un élève qui travaille moins a une moins bonne note qu'un autre : c'est juste, et l'équité est respectée... De la même manière, quelqu'un qui a travaillé durement pour un concours, qui en sait plus et donc, qui en moyenne enseigne plus et mieux, gagne plus : c'est juste.
    En d'autres termes, un agrégé, qui même en lycée, ne fait pas exactement le même travail qu'un certifié, et qui, de surcroît, a accru ses connaissances, qui sont la base de son métier, par la préparation d'un concours difficile, gagne plus et c'est juste, car il apporte plus à la collectivité. Un alignement des certifiés sur les agrégés est légitime, si les certifiés font l'effort de porter leurs connaissances au niveau de celui des agrégés.

    Le monde est rempli d'inégalités : certaines sont injustes, d'autres sont justes. A traquer les inégalités justes, on dessert l'objectif qu'on s'est fixé de réduire les inégalités injustes.

  8. Aligner les certifiés sur les agrégés, c'est augmenter considérablement le budget de l'EN (d'environ 50% pour ce qui est du secondaire), sans améliorer pour autant la qualité du système éducatif : on paierait plus des professeurs qui feraient exactement le même travail.

    Je préférerais que cette somme soit dépensée pour que les certifiés puissent prendre une année sabbatique et devenir agrégés.

    En a-t-on les moyens ? Je sais que le plafonnement des dépenses publiques, Maastricht, Dublin et Amsterdam obligent, est la marotte de QD : l'examen des chiffres exige plus de nuances.
    On constate en effet, contrairement à certaines affirmations rapides, ou à certains préjugés, une forte progression des dépenses publiques depuis 20 ans, à tel point qu'elles dépassent aujourd'hui 50% du PIB, niveau jamais atteint. Il est donc mensonger de laisser croire à un public non averti que l'Etat (au sens large, CL et SS incluses) diminue ses dépenses, puisque les faits démontrent le contraire.
    L'enveloppe des deniers publics est donc en forte progression, y compris ces dernières années : on peut se poser la question de sa répartition (plus de 4000 milliards répartis en 2000 milliards pour la SS, 500 pour les CL, 300 pour l'EN, 200 pour l'Armée, 130 pour l'Emploi, ... ordre de grandeur de mémoire), on ne peut pas réclamer sans cesse des budgets supplémentaires en laissant croire que c'est aisé à obtenir puisque globalement chaque année l'Etat dépenserait moins que les années précédentes.

    Critiquer l'envahissement du marché et le libéralisme est utile : dire que l'Etat rationne les dépenses est une contre-vérité.

    Surtout, se battre sur les salaires, ou l'alignement des certifiés sur les agrégés, revient à considérer que c'est le seul problème urgent de l'EN et que d'autre part, les professeurs ne sont que des salariés comme les autres.

    Or, j'ai déjà dit que ce n'était pas le cas : leurs préoccupations dépassent le montant de leur traitement, puisqu'ils sont les instituteurs de la République. C'est-à-dire qu'ils servent avant de se servir, et qu'ils sont donc quelque peu désintéressés : ils sont sans doute plus que les autres capables de prendre en compte le bien commun, avant leurs petits intérêts corporatistes, intérêts corporatistes qui tuent à petit feu la République (res publica).

    D'autre part, la question des traitements n'est pas la plus urgente  : la régression des apprentissages fondamentaux au primaire (-25% pour le français depuis 1968) et le collège, l'indigence des épreuves du brevet (voir la dictée 2000 par exemple), la montée de la violence dans les établissements, le recul de la transmission des savoirs au profit de savoir-faire utilitaristes, l'instrumentalisation de la culture, la baisse de niveau des épreuves des futurs CAPES) sont des sujets de préoccupation autrement plus importants pour des professeurs gardiens du bien commun et de la République.

Je peux me tromper, bien sûr.

Vandale

http://vandale.free.fr