L’avenir de l’étudiant en Lettres étant désormais tout tracé (papa en a marre de payer le loyer de l’appartement), le jeune Licencié a décidé de passer son CAPES. Ayant obtenu le concours, il brandit le précieux certificat, ce sésame qui lui ouvre les portes de l’Enseignement, en pensant qu’il va pouvoir dispenser son savoir. Grosse erreur : il faut maintenant valider la formation théorique, montrer qu’on est un pro du terrain.
Afin d’aider nos jeunes collègues, voici quelques instructions qui pourront leur rendre service et leur permettront d’être certifiés conformes. Ce mode d’emploi a été élaboré à partir d’expériences et de témoignages authentiques ; il se situe donc parfaitement dans la lignée de cette noble institution qu’est l’IUFM. Si vous suivez les quelques conseils prodigués ci-dessous, nul doute que vous obtiendrez l’Appellation d’Origine Contrôlée. Nous pouvons même gager que cette traçabilité permettra de gérer pour longtemps la chaîne d’approvisionnement. Il n'y a point à balancer, il faut tout donner.
Pour trouver l’IUFM.
1) Chercher l’adresse de l’IUFM sur le net. En profiter pour consulter le site de l’IUFM et s’apercevoir qu’il n’y a presque rien sinon des organigrammes et des intitulés de stage. Lire les intitulés de stage et s’interroger en même temps que le Spécialiste : “ Comment combattre l’ilettrisme ? ” (sic) Se rassurer : il existe des “ pratiques innovantes ”.
2) Prendre sa voiture et partir à l’I.U.F.M. Se perdre un peu dans la ville car ce n’est pas là que vous avez étudié. Ah ben oui, Monsieur, on ne choisit pas son affectation.
3) Se dire que l’on est sans doute sur la bonne voie quand toutes les automobiles Renault qui vous précédent ont un autocollant MAIF sur le pare-brise arrière. Se dire que d’ailleurs on en changerait bien d’automobile. (On apprendra par la suite que la CASDEN est présente à l’IUFM et que la charmante jeune fille qui tient le stand est disposée à vous accorder un prêt à des conditions exceptionnelles : elle est pas belle la vie ?)
4) Arriver à l’IUFM. Chercher une place pour se garer. Apercevoir une vieille pancarte rouillée dans un coin : “ Ecole Normale ”. Contempler les belles enluminures qui dorent le blason de l’Institut.
5) Retrouver quelques copains de fac. Interroger les copains : “ Et toi t’es où ? ”. Comparer mentalement le classement au concours et l’affectation obtenue. Se dire que les premiers, décidément, seront les derniers.
Pour la formation disciplinaire.
1) Ecouter le formateur (c’est le monsieur qui fume la pipe pendant la pause en parlant de sa jeunesse sartrienne) et la formatrice (c’est la dame très bien décorée qui ne fume pas et qui, elle, n’aime pas Sartre).
2) Entendre les quelques “ trucs et ficelles ” pour les premières heures de cours. Se dire que c’est bizarre d’avoir ces conseils après les premières heures de cours devant les élèves. Regarder vos condisciples s’effondrer parce qu’ils n’ont pas fait comme ça. Entamer la thérapie de groupe. Ecouter chacun raconter sa petite anecdote : les réveils réglés cinq heures à l’avance, les holala c’est grand comme bahut et on m’a prise pour une élève. Compatir.
3) Ne JAMAIS parler de littérature (sujet tabou).
4) Repérer une jeune femme hystérique qui veut venir en aide aux jeunes car c’est notre mission et noter toutes ses interventions pour faire rigoler votre copine à la maison. La regarder opiner du chef devant le discours (mot à surligner, très important) du formateur. Trouver qu’elle ressemble aux petits chiens mécaniques à l’arrière des voitures. Se rappeler à ce propos d’aller voir la nana de la CASDEN.
5) Comprendre ce qu’est une séquence. Comprendre que c’est l’Unique, la Vraie, la Nouvelle manière de travailler. Décloisonner. Décloisonner. Décloisonner.
6) Inventer une séquence. Dire n’importe quoi pourvu que l’élève soit mis en activité. Valoriser l’oral. Ne pas se soucier de l’exactitude des connaissances. Entendre le formateur parler d’une approche citoyenne du texte. Souffrir en silence quand la petite chienne hystérique affirme que Balzac, c’est de la littérature à papa et que les jeunes ça ne les intéresse pas. Regarder sa bouche se tordre d’ignorance. Pleurer un peu le soir. Faire étudier Une Ténébreuse Affaire en cachette.
7) Débiner les collègues plus âgés qu’on a dans son établissement et qui eux eh ben y travaillent même pas en séquences. Sourire d’un air entendu. Se dire qu’on est plus fort et qu’ils disparaîtront bientôt vu qu’ils ne résisteront pas au nouveau public.
8) Considérer que la majorité présente a toujours raison. Ne pas se compliquer la vie, ne pas citer de texte, ne pas débattre mais stigmatiser. Demander invariablement au réactionnaire de service “ Et les élèves dans tout ça ? ” d’un ton réprobateur. Froncer les sourcils tous ensemble puis faire une moue ironique en regardant le réac de biais.
9) Apprendre le nouveau vocabulaire tellement mieux. Interroger la pertinence des textes officiels. Attendre la réponse. Comprendre que c’est mieux parce que c’est comme ça et que vous êtes fonctionnaire.
10) Faire semblant de lire les IO parce qu’on va faire une synthèse au rétroprojecteur ! Pendant ce temps corriger les copies de vos élèves de quatrième. Se dire qu’il est urgent de leur réapprendre à conjuguer un verbe. Se dire que la progression à thème dérivé, finalement ça ne sera pas pour tout de suite.
11) A propos des progressions thématiques, se rendre compte que la formatrice en parle mais qu’elle n’a jamais lu une seule ligne de Combettes.
12) Commencer à rigoler parce que vous ne pouvez plus vous retenir. Apprendre que le rire est une stratégie d’évitement et que vous ne voulez sans doute pas vous avouer quelque chose. Recommencer à rire. Expliquer ce qu’il y a de comique. Entendre parler de validation. Arrêter de rigoler.
13) Recevoir un coup de fil des formateurs afin d’éviter tout malentendu. Ecouter leurs aveux qu’on ne peut pas faire à tout le monde.
Pour la formation commune.
1) Chaque matin se laver les dents avec du dentifrice didactique pour avoir une haleine pédagogiquement correcte. Faire des exercices devant sa glace pour n’articuler qu’une seule et unique phrase : “ l’élève au centre ”.
2) Ne pas s’étonner qu’un éminent pédagogue vous donne des scénarii pédagogiques destinés à maintenir l’attention des élèves et développer l’appétence des savoirs sans parvenir à intéresser son propre auditoire.
3) Aller voir la direction de l’IUFM pour signifier votre refus de faire de la gym dans le cadre du “ Potentiel psycho-récepteur de l’enseignant ”. Entendre encore parler de validation. Aller voir votre médecin.
4) Chercher des titres de “ mémoire professionnel ” et de “ rapports de pratique pédagogique ”. En vérifier l’efficacité auprès de vos amis qui ne sont pas enseignants : s’ils sentent que cela parle d’école mais qu’ils ne parviennent pas à identifier le sujet exact, c’est que votre titre est bon. Astuce pour rédiger son mémoire : dans Word, utiliser la commande “ remplacer ” du menu édition pour substituer au terme “ élève ” l’expression “ apprenant en phase d’autonomisation ”. Appliquer le même procédé pour tous les mots clés (ex : “ connaissances ” se transformera en “ capacités cognitives réparties selon les modalités d’évaluation : savoirs, savoir-faire, savoir-être ”), vous économiserez un temps précieux. Attention cependant aux accords sujet-verbe.
5) S’inscrire à divers ateliers : poterie, verroterie, vidéo. Bien savoir qu’on peut être amené à tout enseigner, que c’est le Progrès et qu’on innove.
6) Passer deux jours sur l’orientation des élèves. Prendre son mal en patience devant le descriptif de chaque filière. Ne pas s’endormir. Ne pas craquer. Se souvenir de tous ces petits jeux inventés à l’école (morpion, bataille navale). En inventer de plus complexes, faire des études lexicométriques (fréquence des termes “ jeune ” et “ autonomie ” par exemple).
7) Se former aux NTIC. Bien comprendre que c’est l’avenir. Apprendre donc à utiliser word alors que vous savez programmer un site. Faire un petit film avec la caméra qu’on vous a prêtée. Se demander quel est le rapport avec l’enseignement de la grammaire et de la littérature.
Pour quitter définitivement l’I.U.F.M.
Relever la tête.
Texte de l'association SAUVER LES LETTRES
http://www.sauv.net/