Le blues des agrégés

Le blues des agrégés

Routine, insécurité, démotivation des élèves, Des professeurs agrégés démissionnent de l'Education nationale.
Malaises.

Par Elodie Bécu (Le Point, N° 1512 du 7 septembre 2001)

A la fin des vacances scolaires, Sandrine Agagliate a adressé une lettre un peu particulière à son rectorat. Une lettre qu'elle a rédigée au début de l'été mais à laquelle elle songe depuis un an : sa démission. Cette agrégée de mathématiques de 31 ans a décidé de claquer la porte de l'Education nationale. Après cinq ans d'enseignement en lycée, Sandrine s'ennuie. Et décide de mettre son agrégation de mathématiques à profit pour se reconvertir dans l'informatique. " Dès ma première année, j'ai senti un manque ", explique-t-elle. Un décalage entre les exigences du concours de l'agrégation et ce qu'elle enseigne à ses élèves de lycée.

" Je répète toujours les mêmes choses et je n'apprends plus rien ", se désole-t-elle. Pour combler ce manque, elle a d'abord participé, sur son temps libre, à des recherches en informatique. Mais cela n'était pas suffisant. Elle a alors envisagé plusieurs possibilités, jusqu'à la plus radicale : le départ pur et simple. Le déclic est venu l'an dernier de l'agression au couteau d'un collègue par un élève dans un collège voisin de son établissement. Outre l'agression en elle-même, elle ne s'est pas sentie soutenue par la hiérarchie. Une expérience qui a fait écho à une autre, plus personnelle. Il y a un an, un élève de la classe dont elle était professeur principal avait frappé un autre enseignant.

Depuis un certain temps, elle s'était rendu compte que cet élève avait des problèmes d'alcool. Quand elle a tenté de convoquer les parents, elle s'est fait insulter. A deux reprises, ses démarches ont été vaines. Pourtant, au conseil de discipline de l'élève, c'est elle qui s'est retrouvée en position d'accusée. " Je ne suis pas mère Teresa, s'insurge-t-elle, je ne suis pas formée pour ça. " Mais, quand on lui demande si elle avait la vocation, la jeune femme calme s'énerve : " L'agrégation, je l'ai passée trois fois, je la voulais vraiment. " Volonté d'aboutir qui rend encore plus frustrante la réalité de l'enseignement. Sandrine explique que le côté intéressant de la préparation des cours s'est estompé au fil des ans tandis que la nécessité de " pratiquer " sa discipline s'est renforcée. La balance devient vite déséquilibrée.

Ils sont encore peu nombreux à avoir un geste aussi définitif qu'elle - une petite trentaine en 1999-2000 sur 42 668 agrégés dans le secondaire, du moins selon le chiffre obtenu auprès de l'administration. Mais beaucoup éprouvent un malaise. Les agrégés de disciplines scientifiques ont plus de chances de pouvoir se reconvertir - comme Sandrine, qui a trouvé une formation en cryptographie lui assurant des débouchés dans l'industrie et la sécurité informatique. Mais, quand on a une agrégation de lettres ou de philosophie, la porte de sortie est moins évidente. De plus, certains hésitent à renoncer après avoir investi dans de longues et difficiles études. D'autant que l'Education nationale garantit la sécurité de l'emploi et que les agrégés bénéficient d'avantages matériels par rapport aux certifiés. Mais beaucoup sont insatisfaits de leur situation, surtout dans les premières années d'enseignement. " On ne passe pas l'agrégation uniquement pour faire moins d'heures et être payé plus, explique Denis Roynard, président du Sages, le syndicat des agrégés de l'enseignement supérieur. Les agrégés ont des attentes intellectuelles. " Des attentes pas toujours satisfaites, surtout quand ils sont affectés en collège. " Il devrait être exceptionnel qu'un agrégé se retrouve en collège, réservé aux titulaires du Capes ", explique le président du Sages. L'agrégation offre normalement droit à un poste en lycée ou dans le supérieur. Mais ils sont environ 8 000 à enseigner de la sixième à la quatrième.

Un jeune agrégé de lettres enseignant en ZEP résume : " On se décarcasse à passer l'agrégation et on donne des cours à des élèves qui sont nuls. " Pour combler ce malaise, certains espèrent pouvoir ensuite s'orienter vers le supérieur. En passant par exemple une thèse par le biais d'une mise en disponibilité. Mais cette possibilité n'est accordée qu'au compte-gouttes. C'est après un refus de mise en disponibilité que Sandrine Agagliate s'est décidée à partir définitivement de l'Education nationale .

Le Point - 07/09/2001 - N°1512 - Société - Page 66